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dimanche 8 novembre 2009

1259. LES MAÎTRES DU MONDE ET LEURS SERINS

LES TROIS DÉFIS D'HAMID KARZAÏ APRÈS SA RÉÉLECTION CONTROVERSÉE

LE MONDE 03.11.09
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2009/11/03/les-trois-defis-d-hamid-karzai-apres-sa-reelection-controversee_1262067_3216.html

Hamid Karzaï a gagné son pari : il conserve le pouvoir suprême.

La commission électorale officielle l'a proclamé, lundi 2 novembre à Kaboul, président de la République islamique d'Afghanistan, soldant ainsi un scrutin présidentiel tortueux.

Près de huit ans après avoir été installé à la tête du régime post-taliban par la communauté internationale, il va continuer à présider aux destinées d'un pays stratégique et tourmenté, situé à la croisée des turbulences de l'Asie centrale et du sud ainsi que du Moyen-Orient, et ligne de front dans la bataille contre le djihadisme international.

Les défis qui l'attendent sont immenses. Autant sa première élection au suffrage universel en 2004 - la première dans l'histoire du pays - avait soulevé un certain optimisme, autant sa réélection de 2009 s'inscrit dans un climat dégradé. Hamid Karzaï va devoir avant tout combler les failles ouvertes par des années de politique inconséquente.

Il va lui falloir restaurer une cohésion nationale affaiblie, reconstruire une relation avec l'Occident endommagée et initier un dialogue avec les groupes "réconciliables" de l'insurrection.

Sur ces trois gros chantiers de son nouveau mandat, le président Karzaï, fin tacticien mais pauvre stratège, n'a plus le droit à l'erreur.

La cohésion nationale afghane sort diminuée de ce processus électoral éminemment controversé, entaché de fraudes massives.

Avec le désistement de son principal rival, Abdullah Abdullah, héritier de feu commandant Massoud, le Lion du Panchir, Hamid Karzaï a été privé d'un second tour et donc d'une victoire régulière. "

Il n'obtient pas sa légitimité par le vote mais par la décision d'une commission électorale", souligne Homayoun Chah Assefy, colistier de M. Abdullah.

Ce déficit de légitimité introduit une césure dans l'équilibre politique issu de la conférence de Bonn qui a fondé, fin 2001, l'ère post-talibane.

Déjà en butte à une opposition armée dans le Sud et l'Est pachtounes, M. Karzaï est maintenant aux prises avec une opposition politique, principalement animée par les Tadjiks du Nord.

C'est comme un nouveau front qui s'ouvre face à lui.

En dépit de l'échec de récents pourparlers, l'idée d'un gouvernement d'union nationale, faisant une place de choix au camp de M. Abdullah, reste d'actualité. "Nous représentons désormais une force avec laquelle il faut compter, déclare Ahmed Wali Massoud, frère du Lion du Panchir. Aucun gouvernement ne pourra diriger ce pays en nous ignorant.

" Hamid Karzaï est orfèvre dans l'art d'offrir des postes pour acheter les loyautés. Mais il aura affaire à un camp qui exigera autre chose que des strapontins d'apparat.

La communauté internationale pousse ardemment en ce sens. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, était à Kaboul, lundi 2 et mardi 3 novembre, pour convaincre MM. Karzaï et Abdullah de cicatriser les plaies de la campagne.

Derrière lui, les Américains s'activent beaucoup pour recadrer un Hamid Karzaï qu'ils jugent responsable de l'émiettement du paysage politique.

La relation entre le président afghan et l'administration Obama a été exécrable depuis le début de l'année.

POLITIQUE DE LA MAIN TENDUE

A Washington, la corruption du régime de Kaboul est analysée comme un des principaux aliments de l'insurrection.

Maintenant que l'hypothèque électorale est levée, l'heure est aux félicitations.

Mais M. Obama a averti qu'il jugera sur les "actes" et non pas sur "les paroles". Les Américains attendent que son prochain gouvernement inclût des ministres honnêtes et compétents.

Au-delà, ils escomptent surtout des "réformes internes".

L'idée d'affaiblir les pouvoirs de la présidence au profit du Parlement, afin de rendre le régime plus représentatif, est dans l'air. M. Karzaï l'acceptera-t-il ?

Enfin, le président reconduit sera attendu sur le terrain de la "réconciliation nationale".

Cette formule désigne la main tendue à une insurrection composite dont les talibans fournissent le gros des troupes. M. Karzaï prend l'affaire très à coeur car elle touche sa région d'origine, le Sud pachtoune.

Durant la campagne, il a annoncé qu'il ferait des gestes aussitôt après son élection.

Cette politique de la main tendue comprend deux volets de nature différente : la "réintégration" des insurgés locaux, qui implique la mobilisation de moyens financiers pour permettre leur réinsertion dans la vie civile ;

le " dialogue politique" avec l'état-major des talibans, basé à Quetta (Pakistan).

"La réintégration de certains insurgés locaux peut aller assez vite, prévoit un diplomate étranger. Mais le dialogue politique sera un processus autrement plus lent."

Les obstacles à ce dialogue sont nombreux : réticences des talibans à négocier dans l'état actuel du rapport des forces militaires, exigence du départ des troupes étrangères.

Le débat, en tous les cas, va être lancé au plus haut niveau.

Frédéric Bobin