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jeudi 15 avril 2010

3295

JOURNAL DES DÉBATS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

39e législature, 1re session

(début : 13 janvier 2009)

Le mardi 13 avril 2010 –

Vol. 41 N° 103

http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/39-1/journal-debats/20100413/14563.html

(…)

(Reprise à 18 h 8)

Débats de fin de séance

Le Vice-Président (M. Chagnon): Alors, nous avons un débat de fin de séance où, cet après-midi, Mme la députée de Joliette a requis le fait que nous ayons ce débat de fin de séance en invitant Mme la ministre de la Justice à répondre à ses questions.

•(18 h 10)•

Le débat de fin de séance, comme vous le savez, fait en sorte que la personne qui a demandé le débat a un cinq minutes pour exprimer son opinion. Dans ce cas-ci, la ministre de la Justice, qui est la requérante — ou enfin, pas tout à fait, pas sûr que vous aviez requis, mais — dans ce cas-ci, vous aurez donc un cinq minutes en droit de réplique, et il y aura un droit de réplique plus formel de la requérante, de la vraie requérante, qui succédera à Mme la ministre de la Justice.

Alors, je veux vous entendre déjà, Mme la députée de Joliette.

Mise en place d'une commission d'enquête sur le processus de nomination des juges

Mme Véronique Hivon

Mme Hivon: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, oui, j'ai questionné, cet après-midi, lors de la période des questions, la ministre de la Justice à la suite des allégations pour le moins troublantes, qualifiées par plusieurs de véritable bombe, et, je crois, avec raison, de l'ex-ministre de la Justice et ex-Procureur général du Québec, Me Marc Bellemare, qui, essentiellement, a déclaré hier qu'il a été contraint, à force de pressions indues exercées par un collecteur de fonds important du Parti libéral du Québec, de nommer au moins deux juges à la Cour du Québec. Et, fait encore plus troublant, il aurait avisé le premier ministre, selon ses dires, d'une telle pratique, et le premier ministre aurait... n'aurait rien fait et n'aurait aucunement agi à la suite de cette divulgation d'information par l'ex-ministre de la Justice et Procureur général.

Par ailleurs, Me Bellemare a exposé beaucoup d'autres pratiques irrégulières dans ses propos, notamment en lien avec les questions de financement du Parti libéral, de la collecte de fonds auprès de donateurs, et donc la circulation d'argent comptant notamment, entre autres choses.

On sait, M. le Président, que ça fait des mois et des mois que les allégations de corruption, de collusion, de lien avec le financement du Parti libéral sont exposées au fil des semaines, au fil des mois. On sait qu'il y a toujours de nouveaux chapitres qui s'ouvrent en lien avec ces allégations-là. Il n'y a pas une semaine qui passe sans qu'il n'y ait pas de nouvelles allégations. On a aussi mis au jour un système excessivement troublant de liens entre des donateurs du Parti libéral et l'obtention de places en garderie.

Et qu'est-ce qu'on apprend hier de la bouche de l'ex-ministre de la Justice et Procureur général du premier ministre, lui-même, parce qu'il était premier ministre évidemment lorsque Me Bellemare occupait ses fonctions? Eh bien, qu'il y aurait eu possiblement trafic d'influence pour la nomination d'au moins deux juges à la Cour du Québec par le ministre de la Justice de l'époque.

Et ce qui est particulièrement surprenant, je pense que, dans cette affaire-là, on va de consternation en consternation, parce qu'évidemment, à la suite de toutes ces allégations, l'opposition demande, à répétition et à répétition encore depuis des mois, la tenue d'une véritable commission d'enquête publique indépendante qui va aller au fond des choses pour vraiment faire la lumière sur l'ensemble des allégations qu'on entend en lien avec l'industrie de la construction, les liens avec le financement politique. Et ce qu'on apprend aujourd'hui de la bouche même du premier ministre, qui est au coeur des allégations évidemment de Me Bellemare, puisque ce dernier affirme qu'il a avisé son premier ministre de ce qui se passait, ce qu'on apprend, c'est qu'au lendemain même de ces allégations une commission d'enquête sur le processus de nomination et... va être mise en place, et c'est le premier ministre Charest lui-même qui nous apprend ça.

Or, il y a quelque chose de particulièrement troublant, d'une part, de voir qu'on met en place une commission d'enquête sur un sujet aussi limité, alors que le véritable problème bien sûr, ce n'est pas tant la question du processus de nomination des juges, mais toute la question des liens entre le financement, les donateurs et les actions du gouvernement et la nomination des juges. Et ce qui est encore plus troublant, c'est que, de par la manière dont le premier ministre a agi aujourd'hui, il prête flanc à faire en sorte que le processus qu'il veut mettre en place soit vicié dès le départ, puisque le premier ministre est en quelque sorte juge et partie du processus qu'il annonce aujourd'hui, puisqu'il est touché directement. Il est au coeur des allégations de Me Bellemare, et c'est lui qui annonce aujourd'hui qu'une commission va être mise en place et qu'il va déterminer le mandat et la composition de l'éventuelle commission, ce qui évidemment est un non-sens.

Alors, on demande à la ministre de la Justice de prendre ses responsabilités, d'agir comme l'intérêt supérieur de la justice et notre démocratie le commandent, et de nommer un indépendant, une autorité indépendante pour la mise en place de la commission.

Le Vice-Président (M. Chagnon): Merci, Mme la députée de Joliette. J'inviterais maintenant Mme la ministre de la Justice pour cinq minutes au maximum.

Mme Kathleen Weil

Mme Weil: Oui, merci, M. le Président. Je pense que, d'entrée de jeu, c'est important de confirmer que le gouvernement n'a pas encore fermé... n'a pas fermé la porte à une enquête publique sur la construction. Pour l'instant, le gouvernement mise sur un train de mesures législatives et sur des enquêtes policières pour amener les coupables de collusion et de corruption devant la justice. Mais, en tant que gouvernement, on sentait très important aujourd'hui de poser un geste pour rassurer les gens, le public, sur l'intégrité du système de justice.

Alors, nous avons, au Québec, un système judiciaire qui fait l'envie du monde entier, et c'est avec beaucoup de fierté, en tant que ministre de la Justice, que je réitère la confiance que nous pouvons avoir en notre système de justice. Des déclarations de toutes sortes que nous avons entendues ces dernières semaines attaquent ce système et jettent un discrédit sur l'ensemble de la magistrature québécoise. Je l'ai dit ce matin et je le répète, j'en suis ahurie. Ces propos sont tout simplement inacceptables.

Tous les ministres de la Justice de tous partis politiques confondus ont su, au cours de leur mandat, préserver l'intégrité du système judiciaire nécessaire au bon fonctionnement de notre démocratie. J'ai moi-même été nommée ministre de la Justice le 18 décembre 2008, il y a 16 mois. Jamais, depuis ma nomination, je n'ai subi de pression de qui que ce soit dans le processus de nomination des juges et jamais je n'aurais accepté de recevoir une telle pression. Jamais.

Depuis 30 ans au Québec, un règlement encadre le processus de nomination des juges. Ce processus rigoureux et indépendant du pouvoir politique préserve l'intégrité et l'indépendance de la magistrature. Il faut savoir que les juges sont choisis par un comité de sélection qui est formé d'une juge représentant la Cour du Québec, d'un avocat représentant le Barreau du Québec et d'un représentant du public. Ce comité détermine l'aptitude du candidat ou de la candidate en fonction des connaissances juridiques de cette personne dans les domaines du droit dans lesquels il ou elle exercera ses fonctions, de sa capacité de jugement, de sa perspicacité, de sa pondération, de son esprit de décision et de la conception qu'il ou elle se fait de la fonction de juge.

Ce comité évalue aussi les qualités personnelles et intellectuelles du candidat et son expérience. La probité de la personne déclarée apte est finalement confirmée par une enquête policière et une vérification auprès du syndic du Barreau du Québec. La décision prise sur l'aptitude d'une personne à exercer la fonction de juge est confidentielle et n'est pas connue du candidat lui-même. Le Conseil des ministres désigne, parmi la liste des personnes jugées aptes par le comité de sélection, celui ou celle qu'il nomme par décret.

Je le rappelle, ce processus, en place depuis 30 ans, assure l'impartialité et l'intégrité des nominations des juges. Il assure que la magistrature québécoise est compétente et indépendante. Il assure que le public peut avoir confiance en notre système de justice. Il assure finalement qu'à titre de ministre de la Justice je peux défendre les assises de notre système quand la justice en entier est ainsi attaquée.

C'est dans ce même objectif, afin de dissiper les doutes soulevés sur le processus de nomination des juges, que le premier ministre a annoncé ce matin qu'il allait recommander au Conseil des ministres de décréter la tenue d'une enquête publique pour faire la lumière sur les allégations de M. Bellemare. Ainsi, le Conseil des ministres choisira demain une personne dont la notoriété sera garante de son impartialité, de son indépendance et de son intégrité pour présider cette commission d'enquête. Il est important de rappeler que c'est avant tout pour préserver l'intégrité de notre système de justice que le premier ministre a fait cette annonce.

C'est justement parce que je suis gardienne de la protection du système de justice, un des principaux piliers de notre démocratie, que je soutiens la démarche entreprise par notre premier ministre. Je suis très confiante que l'enquête publique fera la démonstration que le processus de sélection prévu par la loi a été suivi rigoureusement pour chacune des nominations en cause. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Chagnon): Merci, Mme la ministre de la Justice. J'inviterais maintenant Mme la députée de Joliette pour son deux minutes de droit de réplique.

Mme Véronique Hivon (réplique)

Mme Hivon: Merci, M. le Président. En fait, il y a quelque chose d'assez paradoxal dans les propos que tient la ministre de la Justice. C'est qu'elle réitère sa grande confiance, sa plus grande confiance dans l'institution judiciaire. Or, à la lumière d'allégations de Marc Bellemare, hier soir, concernant la nomination de deux juges à la suite de ce qu'il allègue être de l'exercice d'influence indue, on décide... le premier ministre annonce aujourd'hui la mise en place d'une commission d'enquête. Or, comment réitérer cette pleine confiance si la situation est assez dramatique pour commander la mise en place, sur-le-champ, d'une commission d'enquête, alors que, je le rappelle, ça fait des mois et des mois qu'on demande la mise en place d'une commission d'enquête générale sur toute l'industrie de la construction, sur les allégations de collusion, de financement inapproprié, de liens entre le financement du Parti libéral et l'industrie de la construction, et il n'y a absolument rien qui bouge du côté du gouvernement. Je veux bien qu'on nous dise qu'on n'exclut rien, mais on ne bouge pas depuis des mois. Alors là, la ministre vient nous dire: Elle a la parfaite confiance.

•(18 h 20)•

Or, il n'y a absolument... aujourd'hui, on décide tout de suite de lancer une commission d'enquête excessivement restreinte. Alors, j'estime que la ministre a un rôle très important à jouer qui est d'élargir, de faire en sorte que le mandat veuille vraiment dire quelque chose, et que cette commission-là serve à quelque chose et qu'elle aille au fond des choses, à la lumière de tout ce qu'on a entendu au cours des derniers mois, parce que c'est ce qu'on doit aux Québécois, qu'ils aient la vérité, et surtout qu'elle fasse en sorte que le premier ministre, qui est impliqué directement dans les allégations de M. Bellemare, soit exclus, soit en retrait de toute cette démarche, et qu'elle prenne le leadership pour nommer une autorité indépendante, comme le gouvernement conservateur l'a fait pour ce qui est de la mise en place de la commission Oliphant. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Chagnon): Merci beaucoup, Mme la députée de Joliette. Ceci met fin évidemment à ce débat de fin de séance.

Je vais suspendre les travaux immédiatement, mais je vais les suspendre pour une reprise à 19 h 30, qui permettra à nos travaux de se terminer à 21 heures. Donc, je suspends.

(Suspension de la séance à 18 h 21)