DOUTEUR ET UNE PAGE INTÉRESSANTE

vendredi 16 avril 2010

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Le Vice-Président (M. Gendron): (...) Alors, M. le député de Borduas, à vous la parole pour le discours sur le budget.

M. Pierre Curzi

M. Curzi: Merci, M. le Président. Le hasard fait bien mal les choses pour la ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, puisque je viens de présenter à mon caucus une étude qui vient d'être publiée, ça s'appelle Esquisse du vrai visage du français à Montréal, et qui démontre sans aucun doute, avec beaucoup de solidité scientifique, que la situation est en train de se détériorer gravement, particulièrement sur l'île de Montréal. Et, malgré qu'il y ait des efforts qui se fassent du côté de l'office, en même temps on vient d'annoncer, de la part du ministère de l'Immigration, qu'on coupait 31 formations en français. Et les signes pour redresser la situation sont loin d'être suffisants, les gestes posés sont loin d'être suffisants pour amorcer une tendance... l'inversion d'une tendance extrêmement préoccupante sur l'île de Montréal.

Mais ce n'est pas l'objet de mon discours essentiellement, l'objet du discours, c'est de réagir à la présentation du budget. Quand on se retrouve confrontés à la présentation d'un budget, tous les citoyens, et nous en faisons partie nous-mêmes, on... Finalement, on prête une attention extrême à ce qui est dit par le ministre des Finances, par les principales lignes qui sortent, par tout le brouhaha médiatique qui entoure le lancement d'un budget. Et on écoute avec soin les répliques, et j'ai bien, en particulier, écouté avec soin les répliques qu'ont faites la chef de mon parti et le député de Rousseau, qui sont les gens les plus qualifiés pour discuter des raisons... pour argumenter sur les choix qui sont faits dans un budget, parce qu'au bout du compte c'est de ça dont il est question. C'est là-dessus que les citoyens s'interrogent. Quels sont les choix budgétaires puis qu'est-ce que ça signifie fondamentalement? Qu'est-ce qu'un gouvernement qui est en place, par son outil privilégié qui est un budget, et donc l'ensemble des dépenses qui incombent à un gouvernement dans des services fondamentaux pour les citoyens... quelles sont les orientations qui sont données actuellement par ce budget-là?

Puis, quand on écoute et qu'on regarde avec soin, il y a une chose qui nous frappe, c'est qu'il y a une réaction extrêmement défavorable face à ce budget-là. Les citoyens sont en colère, une grogne comme on n'en a pas vu depuis longtemps. Et qu'est-ce qui leur apparaît le plus présent? Quel est le fondement de cette grogne populaire contre un budget? Pourquoi les gens réagissent-ils avec autant de... d'acrimonie, de violence et, je pense, à juste titre? Parce que, tout le monde, toutes les citoyennes et tous les citoyens ont l'intime et la profonde conviction que ce budget qui vient d'être présenté ne répondra pas à leurs... aux besoins qu'ils expriment, mais qu'il est en train, au contraire, de leur remettre sur leurs épaules entièrement le poids de tout ce qui se passera et de tout ce qui ne se passera pas.

Ce qu'ils comprennent, c'est qu'avec certitude ils vont avoir à défrayer 30 % des revenus et, là-dedans, un nombre supplémentaire de milliards qui devront sortir effectivement de leurs poches pour injecter dans des dépenses gouvernementales. Et ce qu'ils ne... ce à quoi ils ne croient pas, c'est que ce... le 60 % que le gouvernement est supposé couper dans ses propres dépenses, ils ne croient pas qu'il va y arriver et ils se font doublement berner. Ils se font berner, d'une part, parce qu'ils ont raison de croire que le gouvernement ne semble pas du tout en voie de couper 60 % de ses dépenses, et ça, les exemples se multiplient à foison.

On est particulièrement concernés de ce temps-ci par la déliquescence d'un gouvernement dont toutes les pratiques semblent être monnayables. D'une part, donc, il y a une crise de crédibilité dans le gouvernement, dans la possibilité que ce gouvernement-là puisse vraiment mettre de l'ordre. Mais il y a plus grave. Il y a en plus que les citoyennes et les citoyens sont très, très conscients que les coupures, si elles ne sont pas bien gérées, et c'est bien ça qui est le cas, si elles ne sont pas bien faites, que la part que le gouvernement est supposé assumer dans la réduction des dépenses à l'intérieur de ce budget, eh bien, ça se traduira, pour eux, pour elles, dans des coupures de services.

Et ce que les gens comprennent, ce n'est pas 30 % qu'ils auront à débourser, mais 90 % puisque, somme toute, la privation de services équivaut pour eux, pour elles, à une dépense supplémentaire. Quand on coupe mal, quand on est incapable de couper avec intelligence, quand on ne sait pas comment... effectivement où on va réduire les dépenses de l'État, ce qu'on envoie comme signal, c'est que l'État va fournir moins de services pour un montant qui risque peu d'être moins considérable. Et on se comprend. On ne croit pas, d'une part, qu'il va y avoir une vraie réduction, et, s'il y en a une, ce dont on est certain, c'est qu'elle va se traduire, pour nous, en une diminution des services.

Et, troisièmement, c'est que nous allons devoir mettre la main à la poche pour combler toutes ces différences-là. Et ça, ça peut s'illustrer dans différents domaines. On le voit dans le domaine de l'immigration; l'exemple du français est patent. Alors que, là, la ministre dit que nous faisons tous les efforts pour changer une situation sur l'île de Montréal, dans le même moment, la même semaine où on lance un cri d'alarme sur cette situation-là, la ministre de l'Immigration coupe 5 millions dans des dépenses, 5 millions qui vont toucher directement 600 personnes qui veulent se franciser, qui veulent s'intégrer, et le gouvernement juge que cette coupure-là est une des coupures intelligentes. Privation de services dans un des lieux les plus sensibles de notre identité et de notre intégration de ceux qui arrivent, et voilà qui est une sage décision. Ça, c'est une diminution de services dans un lieu essentiel.

•(15 h 30)•

Si on regarde du côté de la santé, je ne referai pas ce procès qui est fait, refait abondamment sur le fait que maintenant il y aura éventuellement un ticket modérateur qui, encore une fois, mettra sur le poids des citoyennes et des citoyens une responsabilité plus grande encore, un poids financier plus grand qu'ils auront à défrayer, tout simplement pour s'assurer d'avoir accès à un service de santé, qui est un des droits fondamentaux qu'on a toujours reconnus et auxquels la société a consacrés depuis longtemps de très grands efforts.

Si on regarde le système d'éducation, on arrive exactement au même type d'incompréhension de ce qu'est la réalité. Encore là, on nous dit: Nous allons continuer et maintenir les efforts que l'on fait pour les 13 voies de la réussite, pour contrer le décrochage scolaire. Pourtant, dans les faits, l'augmentation du budget de l'éducation sera de 2,2 %, c'est-à-dire 1 % de moins que les dépenses prévues de 3,2 %, qu'on voudrait ramener à 2,8 %. Rien de tout cela ne se passera, rien de tout cela, sauf, sauf le fait qu'il n'y aura pas plus d'argent qui sera consacré à contrer le décrochage scolaire. Sauf que, là où l'avenir est en train de se faire et de ne pas se faire exactement comme on le souhaite, c'est dans ce lieu-là directement qu'on nous dit qu'on va augmenter les dépenses, alors que, dans le fond, on réduit les dépenses.

Et c'est ce mensonge constant qui fait que la grogne augmente, augmente, augmente. C'est cette façon de faire, qui est toujours en train de nous jeter de la poudre aux yeux, en nous disant: Regardez, quel beau budget: malgré la situation difficile du Québec, nous réussissons quand même à maintenir les services essentiels, et votre part ne sera que d'un tiers. Eh bien, c'est faux, M. le Président. C'est faux. Et c'est ce mensonge-là, dans un budget, que les gens voient, aperçoivent, identifient clairement. Et c'est la raison pour laquelle la grogne est si manifeste dans la rue. Et la grogne va continuer à se déployer.

On est confrontés, citoyens, simples citoyens, à tenter de réfléchir à un ensemble extrêmement complexe de postes budgétaires où on nous dit que nous allons agir correctement, alors que plus personne ne croit en la crédibilité de ceux qui souhaitent appliquer ces mesures. On ne croit pas que ces gens-là vont le faire. Et, quand on pense qu'ils peuvent le faire, on se dit: Ils vont agir à l'encontre de nos... des services qui nous sont garantis. Et c'est ça, l'esprit d'un budget. Et on a beau vouloir ne pas réfléchir à ce qui est train de se passer, on est obligés, même si on n'est pas paranoïaques, de considérer qu'actuellement il y a une conjonction d'intérêts qui ne servent pas l'ensemble des citoyens.

La classe moyenne, qui sera toujours celle qui ultimement doit payer parce qu'elle est la plus nombreuse, la classe moyenne se sent outrée, outragée. Elle est outragée parce qu'actuellement on sent, encore une fois, que c'est sur leurs épaules que va reposer l'iniquité d'un système politique qui est de plus en plus gangrené par les intérêts. Et, ces intérêts-là, nous commençons à les identifier clairement; ce sont des intérêts financiers importants. Et, quand on dit que seulement 7 % du budget sera assumé par les compagnies, on est en train de nous donner le signal très clair que le néolibéralisme, ce n'est pas une invention livresque, c'est quelque chose qu'on voit se déployer devant nos yeux. Et on le voit se déployer face à nous, actuellement.

Et les citoyens ont tout à fait raison d'être inquiets et de se dire qu'actuellement ce mensonge-là... ce... ce budget-là — excusez-moi, je confonds «mensonge» et «budget» — ce budget-là est pour eux un poids qu'ils ne veulent plus supporter. Leur réaction devrait être... Et malheureusement notre système ne nous permet pas d'être aussi actifs politiquement que la réaction et la grogne que nous entendons actuellement dans la rue. Et j'ose espérer qu'elle se maintiendra.

Motion formulant un grief

M. le Président, j'aimerais déposer une motion de grief:

«Que l'Assemblée nationale blâme sévèrement le premier ministre et la ministre de l'Éducation pour n'avoir augmenté que de 2,2 % le budget alloué à l'éducation considérant les besoins criants, surtout en matière de décrochage scolaire.»

Le Vice-Président (M. Gendron): Merci, M. le député de Borduas

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JOURNAL DES DÉBATS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

39e législature, 1re session
(début : 13 janvier 2009)

Le mercredi 14 avril 2010
http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/39-1/journal-debats/20100414/14735.html

- Vol. 41 N° 104