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jeudi 15 avril 2010

3286

JOURNAL DES DÉBATS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

39e législature, 1re session

(début : 13 janvier 2009)

Le mardi 13 avril 2010 –

Vol. 41 N° 103

http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/39-1/journal-debats/20100413/14563.html

(…)

Le Vice-Président (M. Chagnon): C'est à votre tour. Alors, j'inviterais maintenant M. le député de Marie-Victorin à prendre la parole.

M. Bernard Drainville

M. Drainville: Merci, M. le Président. M. le Président, je n'ai pas vu beaucoup de députés libéraux lors de la manifestation de dimanche à Québec contre le budget, même que je n'en ai pas vu un seul, et, à ce que je sache, aucun n'a été vu non plus. Et ce n'est pas gênant, M. le Président, ce n'est pas gênant de proposer une hypothèse, une explication pour ça. Je pense qu'ils sont un peu gênés. Je pense qu'ils ont honte de leur budget, M. le Président, et on les comprend.

Si on regarde les chiffres qu'on a obtenus jusqu'à maintenant, les chiffres qui mesurent l'insatisfaction des Québécois envers ce budget-là, on réalise que ça joue dans les environs de 80 %. 80 % des Québécois sont contre ce budget, M. le Président, et on a vu justement l'ampleur de la colère, qui anime les Québécois actuellement, dans les rues de Québec dimanche. D'ailleurs, je serais très curieux de savoir, M. le Président, des députés libéraux combien d'entre eux sont allés dans leurs comtés au cours des derniers jours et ce qu'ils ont obtenu comme... ce qu'ils ont obtenu comme commentaires et réactions au budget de leur gouvernement. J'espère qu'ils vont nous faire part de ça. Alors, on verra ça, on va les entendre, M. le Président, on va les entendre dans les prochaines minutes. J'espère qu'ils vont dire ça publiquement, qu'ils vont citer également... qu'ils vont pouvoir se référer à leurs commettants en donnant des exemples concrets d'appuis qu'ils ont reçus de leurs commettants. On pourra après ça retourner dans ces comtés-là et vérifier si effectivement l'appui est à ce point élevé.

M. le Président, le ras-le-bol qu'on a observé en fin de semaine à Québec tire sa source de plusieurs... comment dire, de plusieurs réalités, d'une réalité en particulier qui est la suivante: les gens ont le sentiment que le gouvernement n'a pas fait le ménage dans sa cour avant de les taxer et de les tarifer. Les gens nous parlaient, par exemple, des cours de yoga payés à même les fonds publics ou des cours de silence payés à même les fonds publics. Et ce n'est pas les montants, M. le Président, qui sont en cause, là, dans ces cas-ci, dans ces exemples-là, c'est le principe, le principe qu'avant de demander à la classe moyenne de puiser à nouveau dans ses goussets puis de payer encore plus pour l'essence, puis de payer encore plus pour la TVQ, puis de payer encore plus pour les tarifs puis... d'Hydro-Québec, puis de payer encore plus pour la santé, bien le gouvernement aurait dû d'abord poser un certain nombre de gestes pour diminuer les coûts de l'administration, les coûts de la bureaucratie, diminuer le gaspillage.

Et c'est ça qu'on a entendu beaucoup, dimanche, M. le Président. Dans le fond, les gens disaient: Pourquoi est-ce qu'ils ont encore une fois cédé à la facilité en se tournant vers nos épargnes, en nous taxant et en nous tarifant encore davantage, alors qu'ils auraient pu faire un petit effort de leur côté?

Je vous donne un exemple, M. le Président: le Dossier de santé du Québec. Vous êtes un parlementaire expérimenté. Vous savez, ça fait quelques années déjà que je soulève ce dossier-là, que je pose des questions sur la question du Dossier de santé du Québec, pas parce que je suis contre le projet, M. le Président, je suis très, très pour. Nous sommes, de ce côté-ci de la Chambre, très, très, très en faveur d'une plus grande informatisation du réseau de la santé parce qu'on y voit une façon de générer non seulement des soins de meilleure qualité, mais également une plus grande efficacité dans la gestion du système de santé et donc, par le fait même, un meilleur contrôle des coûts. Alors, qu'est-ce qui se passe avec le Dossier de santé du Québec? Bien, c'est un dossier qui est complètement, complètement paralysé. Encore aujourd'hui, dans Le Journal de Québec, le Dr André Fréchette, du GMF Saint-Vallier, à Québec, là où doit avoir lieu le projet pilote, là où doit se tenir le projet pilote pour le Dossier de santé du Québec, bien le Dr Fréchette dit ceci: «Nous devions être rebranchés en avril, mais on attend toujours le signal de l'agence [...] de Québec. On n'a aucune idée de ce qui se passe et rien ne bouge en ce qui nous concerne.»

Ça, c'est le projet pilote, M. le Président, qui doit permettre de tester le DSQ avant son déploiement à la grandeur du Québec. C'est un projet de 1 milliard de dollars, qui permettrait d'augmenter le nombre de patients, traités dans les cliniques de médecine de famille, de l'ordre de 20 %. C'est les médecins qui nous disent: Si on avait un système informatisé, on pourrait traiter 20 % plus de patients chaque jour, le Dr Fréchette aujourd'hui qui dit, en parlant du DSQ: «...il en va un peu de l'avenir de la médecine [de famille] — en parlant du DSQ.»

M. le projet... M. le Président, le projet du DSQ, il est jusqu'à maintenant un échec. Il nous a coûté plusieurs centaines de millions de dollars, et pour le moment on n'a absolument rien ou si peu en retour. Pourtant, c'est une mesure concrète que l'actuel gouvernement s'était engagé à mettre de l'avant, qu'il n'a pas été capable de mettre de l'avant jusqu'à maintenant, avec des résultats désastreux, c'est-à-dire qu'on met beaucoup d'argent là-dedans et on n'obtient pas de résultat en retour. Et Ottawa, qui devait financer 300 millions, n'a donné, n'a versé que 100 des 300 millions pour la simple et bonne raison que le projet ne fonctionne pas et qu'Ottawa paie sur le livrable et, comme les produits ne sont pas livrés, bien Ottawa ne paie pas. Nous, depuis le départ on dit qu'Ottawa aurait dû accepter que cette question-là de la santé relève du Québec et on aurait dû avoir les sous pour pouvoir aller de l'avant avec le projet, mais, dans la mesure où le gouvernement libéral pense qu'Ottawa doit garder une mainmise sur ce projet-là, bien là ils vivent maintenant avec les conséquences de cette décision-là, et la conséquence, c'est ça, c'est qu'il nous manque de l'argent. Au moment où les Québécois doivent payer davantage pour toute une série de services ou pour toute une série de taxes et de tarifs, bien Ottawa a de l'argent pour l'informatisation du réseau de la santé, puis on n'est pas capables d'avoir accès à cet argent-là pour la simple et bonne raison que le dossier est géré avec beaucoup d'incompétence.

Même chose, M. le Président, avec... Tiens, un autre exemple, là, d'économies potentielles qu'on aurait pu générer, que le gouvernement aurait pu générer, c'est toute la question des médicaments, toute la question des médicaments. L'Ontario vient de décider de baisser le prix des médicaments génériques, et là le cabinet du ministre de la Santé a déclaré la semaine dernière... enfin, une porte-parole a déclaré: On n'est pas sûrs, là, si on va suivre l'exemple ontarien.

M. le Président, ça démontre encore une fois une incompétence assez crasse, puisque le gouvernement du Québec n'a pas le choix de suivre. La loi québécoise dit qu'on doit obtenir ici, au Québec, le meilleur prix au Canada. Alors, si le prix baisse en Ontario, il va baisser au Québec, et donc ça va générer pour le Québec des économies fort intéressantes, de l'argent dont on pourrait se servir peut-être, hein, c'est une idée comme ça, pour annuler la hausse... enfin, la création de la contribution santé ou encore la création d'un ticket modérateur. Si on va chercher des millions, des dizaines, peut-être des centaines de millions en payant moins pour les médicaments, bien on pourrait peut-être, de cette façon-là, annuler les deux taxes, qui ont été annoncées dans le budget, sur la santé.

•(16 h 40)•

Et ces deux taxes-là, M. le Président, elles font pratiquement l'unanimité contre elles. Encore aujourd'hui dans Le Devoir un texte signé par trois professeurs d'université, les Prs Brousselle, Loignon et Contandriopoulos, ils disent ceci à propos du budget — moi, je trouve que c'est très bien résumé: «...ce que le gouvernement Charest propose de mettre en place va à l'encontre des principes fondateurs redistributifs de notre système de santé. Deux mesures sont avancées à court terme: un montant annuel prélevé à même les impôts indépendamment du revenu et un montant forfaitaire par visite médicale, directement [en] fonction de l'utilisation de chaque individu. Concrètement, les moins nantis paieront le même montant que les plus riches, ce qui signifie que, proportionnellement, l'effort qui est demandé aux premiers sera nettement plus important. De plus, les plus malades, qui utilisent souvent le système [des] soins, devront assumer un effort supplémentaire, une taxe à la maladie en quelque sorte.

«Ces mesures découlent, d'une part, de l'affinité idéologique du gouvernement avec le principe d'une imposition régressive et, d'autre part, de l'idée selon laquelle les services de santé sont des biens marchands...»

Mais, pour nous, M. le Président, la santé n'est pas un bien marchand. C'est un droit, la santé, ce n'est pas un service, comment dire, mercantile, hein, ce n'est pas un bien privé, la santé. Ce n'est pas quelque chose que tu peux taxer comme tu taxes une voiture ou un toaster, la santé.

Alors, M. le Président, nous avons dit que nous allions combattre ce budget avec toutes nos énergies. Nous le faisons depuis qu'il a été déposé et nous allons continuer à le faire parce que ces deux taxes, la contribution santé, qui va s'élever jusqu'à 200 $, et le ticket modérateur, sont odieuses. Ils sont illégitimes parce que le gouvernement n'a aucun mandat de les imposer et ils frisent l'immoralité parce que vous allez taxer les gens qui sont les plus malades. J'entendais la ministre des Aînés tout à l'heure être outrée de nos interventions sur cette question-là, mais qu'elle aille donc parler aux aînés dans son comté puis les aînés ailleurs au Québec. Moi, je l'ai fait encore hier dans mon comté, et les aînés qui effectivement ont davantage recours aux soins de santé que la moyenne parce que c'est ça qui vient avec l'âge... Qu'est-ce que vous voulez, les petits, les gros... et les gros bobos, hein, à un moment donné, finissent par nous rattraper avec l'âge, et ce sont eux, les aînés notamment, qui vont devoir faire les frais de ce budget-là parce qu'ils vont devoir, à chaque fois qu'ils ont recours à un médecin, payer, puis payer, puis payer encore. Puis, quand ils vont aller à l'urgence, ils vont payer. Puis, quand ils vont aller voir deux médecins dans la même journée, selon ce que le ministre des Finances... le ministère des Finances a dit à la journaliste de La Presse... quand ils vont voir deux médecins dans la même journée, un généraliste puis un spécialiste, ils vont payer deux fois.

Ils sont-u assez fiers de ça, M. le Président? Puis, s'ils ont une meilleure explication, bien, qu'ils nous la donnent.

Des voix: ...

Le Vice-Président (M. Chagnon): S'il vous plaît! S'il vous plaît! Il n'y a qu'une personne ici qui a un droit de parole, c'est le député de Marie-Victorin, et c'est à lui... c'est lui que nous écoutons.

M. Drainville: Ils appellent ça un ticket orienteur, M. le Président. Je les invite. S'ils ont un problème avec ce que je dis, qu'ils aillent parler à leur collègue ministre du Développement économique, qui a déclaré: On va... «On parle d'un ticket orienteur. Il se pourrait qu'on charge plus cher ceux qui se présentent à l'urgence que ceux qui se présentent au CLSC pour voir [le] médecin de famille.»

S'ils ont un problème avec ce qu'on avance, bien, qu'ils aillent parler à leur ministre, qu'ils relisent le document du budget. Je cite: «Nous envisageons l'introduction d'une franchise santé calculée en fonction du nombre de visites médicales effectuées pendant l'année.» C'est ça qui est écrit dans le budget, hein? Bien, écoutez, s'il y en a des exceptions, Mme la ministre des Aînés, s'il y en a, des exceptions au ticket, là, dites-nous-les donc. Que le... S'il y a des exceptions à l'application du ticket orienteur, du ticket modérateur, si les aînés vont être effectivement exclus de l'application de ce ticket-là, qu'elle se lève, M. le Président, et qu'elle nous le dise. Si les femmes enceintes sont exclues de l'application du ticket orienteur, modérateur et autres franchises, qu'elle se lève et qu'elle nous le dise.

Bien oui, c'est plus facile de quitter la Chambre que de donner des explications. Alors, M. le Président...

Le Vice-Président (M. Chagnon): M. le député de Marie-Victorin, je vous invite à, d'abord, à suivre les préceptes de notre règlement et faire en sorte de conclure, si vous le choisissez, mais de vous en tenir à suivre notre règlement.

M. Drainville: M. le Président, comme le dit mon collègue de René-Lévesque, Flex-O-Flex là où ça fait mal, hein? Alors, quand on parle des choses qui font mal, ça les fait réagir. Alors, on attend impatiemment, M. le Président, le compte rendu détaillé des consultations que les députés libéraux ont faites dans leurs comtés ces derniers jours, et j'ai bien hâte de voir le niveau d'appui que ce budget recueille, puis on va comparer ça avec les faits, M. le Président.

Motion formulant un grief

Je termine avec une motion de grief, puisque c'est comme ça que ça s'appelle de nos jours, là, avec la nouvelle réforme. Motion de grief:

«Que l'Assemblée nationale blâme sévèrement le premier ministre et le ministre de la Santé et des Services sociaux pour l'imposition de la taxe libérale de 200 $ en santé ainsi que l'imposition d'une taxe à la maladie sous forme de ticket modérateur.» Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Chagnon): Alors, vous déposez votre motion. Alors, merci, M. le député de Marie-Victorin. Est-ce que j'ai un prochain intervenant?