jeudi 21 janvier 2010
1986
RENCONTRE AVEC LE PAPE DU VODOU
Max Gesner Beauvoir, Ati National
http://chien-creole2.blogspot.com/
Max Gesner Beauvoir est un homme de 73 ans au regard profond et étrangement brillant. C’est un houngan, un prêtre vodou, mais ce n’est pas n’importe lequel.
C’est l’Ati National, celui qui a été reconnu il y a deux ans par ses pairs comme chef suprême du vodou en Haïti.
Une première. Le pape vodou me reçoit dans son bureau, attenant au temple de Mariani, entre Port-au-Prince et Léogane.
Chien Créole : Ati, vous êtes l’auteur de deux livres sur le vodou. Pouvez-vous nous en parler un peu ?
Max Gesner Beauvoir : Pour comprendre le vodou, il faut se plonger dans la tradition. J’ai publié une compilation commentée des chants vodous car ce répertoire, jusqu’alors oral, constitue notre bible, ainsi qu’un recueil de prières.
Les prières sont les conversations que les hommes tiennent avec Dieu. On ne peut pas tricher avec Dieu.
CC : Quand vous parlez de Dieu, doit-on l’entendre au sens chrétien du terme ?
MGB : Les chrétiens tentent de comprendre Dieu par des mots, nous pensons que sa réalité est bien trop complexe pour que l’être humain puisse l’appréhender de cette façon.
Le vodouisant aborde cette complexité grâce au 401 loas, qui constituent autant de facettes, autant d’images de Dieu.
CC : Précisément, ces loas ont à la fois une représentation africaine et une représentation catholique.
L’imagerie catholique a surtout permis aux vodouisants de vénérer les loas à l’époque coloniale sans éveiller la suspicion, ni s’attirer les foudres de la répression cléricale.
J’ai rencontré certains houngans qui m’ont expliqué que pour eux, ce recours aux images catholiques n’était plus nécessaire et qu’en les supprimant, on pourrait retourner à un vodou plus authentique. Vous inscrivez-vous dans cette lignée ?
MGB : Le rôle des saints que nous partageons avec le catholicisme va plus loin que ça. Par exemple, ils incarnent des héros de l’indépendance.
St François et St Dominique représentent Toussaint Louverture. St Jacques, c’est Dessaline. Quant au cheval de St Jacques, divinisé, il symbolise le peuple haïtien. Madeleine, elle aussi est très présente, à travers "la couleuvre Madeleine", ce petit serpent vert qui représente le loa Dambala Wedo. Rien de tout cela n’est gratuit. Je suis pour le maintien de ces liens.
CC : Dans le système de croyance vodou, qu’arrive-t’il après la mort ?
MGB : Le loa Agwe conduit le mort sous les eaux où il sera purifié. Ce même loa est celui qui sous-tend la mer. Il accompagne les humains tout au long de leur vie.
Par exemple, c’est lui qui permet à la femme enceinte de perdre les eaux et donc de donner la vie.
Chaque être humain se réincarne seize fois avant de devenir gweto (gwe : connaissance ; to : celui qui l’a).
Au terme de ce cycle, il rejoint ce qu’on appelle le Grand Tout. Il devient alors une énergie pure qui circule dans les airs, comme une étoile filante.
CC : Est-ce que comme dans certaines religions orientales, la vie présente est déterminée par la vie antérieure ? Si on s’est mal comporté dans la vie passée, on doit expier dans la vie présente. Y a-t’il une notion de ce type, de bon ou mauvais kharma ?
MGB : Non, pas dans le vodou. En revanche, chaque vie nous enseigne ce qu’il nous faut apprendre en fonction du stade où l’on est et l’on va en acquérant de plus en plus de connaissances et de sagesses au fur et à mesure qu’on évolue dans nos existences successives.
Tout le monde finit par arriver à la sagesse du gweto au terme des seize vies.
On ne peut prétendre être houngan avant la douzième vie, car avant d’atteindre ce niveau, on est bien trop matérialiste.
On ne pense qu’à accumuler des richesses que nous ne pourrons pas emporter avec nous ou que nos héritiers dilapideront.
CC : Ati, pouvez-vous nous parler des persécutions qu’ont subies les vodouisants au cours de l’histoire ?
MGB : Nous avons continuellement été combattus, dès le début de l’esclavage, car le vodou est animé par un souffle de liberté fondamentalement anticolonialiste.
Songez que selon l’UNESCO, l’espérance de vie des esclaves déportés d’Afrique était de 4 ans en moyenne !
Nos ancêtres étaient tués à la tâche dix-huit heures par jour, sept jours sur sept mais grâce au vodou, leur pensée n’était pas "esclavagisée". Je veux dire qu’il n’était pas esclaves puisqu’ils n’avaient pas intériorisé la condition d’esclave.
C’est ce qui a permis à Boukman et aux autres de se retrouver en hommes libres à Bois Caïman le 14 août 1791 pour lancer la guerre d’indépendance au cours d’une cérémonie vodou.
Les persécutions et les discriminations ne se sont jamais arrêtées. Le grand déchoukage des années 1986, 1987 a fait des milliers de morts parmi les nôtres, assassinés par des chrétiens avec le concours de membres de l’armée.
C’est la dernière en date des grandes campagnes d’éradication du vodou.
Nous sommes constamment discriminés, marginalisés, nos droits sont bafoués.
En 1806, tous les esclaves n’étaient pas d’accord avec l’indépendance. Certains considéraient que finalement leurs maîtres n’étaient pas si mauvais, sous prétexte qu’ils leurs laissaient les vêtements dont ils ne voulaient plus, leur permettaient de cultiver un minuscule lopin de terre, etc.
La France va s’appuyer sur eux et ça aboutira à l’assassinat de Dessalines et à l’instauration de gouvernements chrétiens qui provoqueront la faillite d’Haïti et se succèderont jusqu’à Preval (1).
Mais ce temps est révolu. Aujourd’hui, un pays ne peut pas continuer à piétiner les droits de 70 % de sa population.
Je pense que nous assistons à la fin des gouvernements chrétiens.
Nous aspirons à une démocratie où chacun soit reconnu dans la société haïtienne et où il y ait du travail pour tous.
Aujourd’hui, Haïti est considérée comme une plaie au concert des nations, sa misère montrée du doigt.
Mais quel pays ne vivrait pas dans la misère si 80% de sa population était privée d’emploi. Qu’on donne du travail aux Haïtiens et vous verrez de quoi ce pays est capable.
CC : Vous avez parlé de la cérémonie de Bois Caïman ; j’ai lu quelque part que vous remettiez en cause la version selon laquelle c’est en buvant le sang d’un cochon créole sacrifié que le pacte aurait été scellé entre tous les participants.
MGB : En effet, il ne s’agissait pas d’un cochon créole, mais d’un jeune homme, Jean-Baptiste Vixamar, qui a accepté de sacrifier sa vie au cours de cette cérémonie (2). Là encore ce sont les chansons qui nous éclairent.
(à suivre)
Entrevue FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)
(1) René Preval est l’actuel président d’Haïti.
(2) Difficile de ne pas voir une volonté de donner une dimension christique au vodou à travers cette version.
Max Gesner Beauvoir, Ati National
http://chien-creole2.blogspot.com/
Max Gesner Beauvoir est un homme de 73 ans au regard profond et étrangement brillant. C’est un houngan, un prêtre vodou, mais ce n’est pas n’importe lequel.
C’est l’Ati National, celui qui a été reconnu il y a deux ans par ses pairs comme chef suprême du vodou en Haïti.
Une première. Le pape vodou me reçoit dans son bureau, attenant au temple de Mariani, entre Port-au-Prince et Léogane.
Chien Créole : Ati, vous êtes l’auteur de deux livres sur le vodou. Pouvez-vous nous en parler un peu ?
Max Gesner Beauvoir : Pour comprendre le vodou, il faut se plonger dans la tradition. J’ai publié une compilation commentée des chants vodous car ce répertoire, jusqu’alors oral, constitue notre bible, ainsi qu’un recueil de prières.
Les prières sont les conversations que les hommes tiennent avec Dieu. On ne peut pas tricher avec Dieu.
CC : Quand vous parlez de Dieu, doit-on l’entendre au sens chrétien du terme ?
MGB : Les chrétiens tentent de comprendre Dieu par des mots, nous pensons que sa réalité est bien trop complexe pour que l’être humain puisse l’appréhender de cette façon.
Le vodouisant aborde cette complexité grâce au 401 loas, qui constituent autant de facettes, autant d’images de Dieu.
CC : Précisément, ces loas ont à la fois une représentation africaine et une représentation catholique.
L’imagerie catholique a surtout permis aux vodouisants de vénérer les loas à l’époque coloniale sans éveiller la suspicion, ni s’attirer les foudres de la répression cléricale.
J’ai rencontré certains houngans qui m’ont expliqué que pour eux, ce recours aux images catholiques n’était plus nécessaire et qu’en les supprimant, on pourrait retourner à un vodou plus authentique. Vous inscrivez-vous dans cette lignée ?
MGB : Le rôle des saints que nous partageons avec le catholicisme va plus loin que ça. Par exemple, ils incarnent des héros de l’indépendance.
St François et St Dominique représentent Toussaint Louverture. St Jacques, c’est Dessaline. Quant au cheval de St Jacques, divinisé, il symbolise le peuple haïtien. Madeleine, elle aussi est très présente, à travers "la couleuvre Madeleine", ce petit serpent vert qui représente le loa Dambala Wedo. Rien de tout cela n’est gratuit. Je suis pour le maintien de ces liens.
CC : Dans le système de croyance vodou, qu’arrive-t’il après la mort ?
MGB : Le loa Agwe conduit le mort sous les eaux où il sera purifié. Ce même loa est celui qui sous-tend la mer. Il accompagne les humains tout au long de leur vie.
Par exemple, c’est lui qui permet à la femme enceinte de perdre les eaux et donc de donner la vie.
Chaque être humain se réincarne seize fois avant de devenir gweto (gwe : connaissance ; to : celui qui l’a).
Au terme de ce cycle, il rejoint ce qu’on appelle le Grand Tout. Il devient alors une énergie pure qui circule dans les airs, comme une étoile filante.
CC : Est-ce que comme dans certaines religions orientales, la vie présente est déterminée par la vie antérieure ? Si on s’est mal comporté dans la vie passée, on doit expier dans la vie présente. Y a-t’il une notion de ce type, de bon ou mauvais kharma ?
MGB : Non, pas dans le vodou. En revanche, chaque vie nous enseigne ce qu’il nous faut apprendre en fonction du stade où l’on est et l’on va en acquérant de plus en plus de connaissances et de sagesses au fur et à mesure qu’on évolue dans nos existences successives.
Tout le monde finit par arriver à la sagesse du gweto au terme des seize vies.
On ne peut prétendre être houngan avant la douzième vie, car avant d’atteindre ce niveau, on est bien trop matérialiste.
On ne pense qu’à accumuler des richesses que nous ne pourrons pas emporter avec nous ou que nos héritiers dilapideront.
CC : Ati, pouvez-vous nous parler des persécutions qu’ont subies les vodouisants au cours de l’histoire ?
MGB : Nous avons continuellement été combattus, dès le début de l’esclavage, car le vodou est animé par un souffle de liberté fondamentalement anticolonialiste.
Songez que selon l’UNESCO, l’espérance de vie des esclaves déportés d’Afrique était de 4 ans en moyenne !
Nos ancêtres étaient tués à la tâche dix-huit heures par jour, sept jours sur sept mais grâce au vodou, leur pensée n’était pas "esclavagisée". Je veux dire qu’il n’était pas esclaves puisqu’ils n’avaient pas intériorisé la condition d’esclave.
C’est ce qui a permis à Boukman et aux autres de se retrouver en hommes libres à Bois Caïman le 14 août 1791 pour lancer la guerre d’indépendance au cours d’une cérémonie vodou.
Les persécutions et les discriminations ne se sont jamais arrêtées. Le grand déchoukage des années 1986, 1987 a fait des milliers de morts parmi les nôtres, assassinés par des chrétiens avec le concours de membres de l’armée.
C’est la dernière en date des grandes campagnes d’éradication du vodou.
Nous sommes constamment discriminés, marginalisés, nos droits sont bafoués.
En 1806, tous les esclaves n’étaient pas d’accord avec l’indépendance. Certains considéraient que finalement leurs maîtres n’étaient pas si mauvais, sous prétexte qu’ils leurs laissaient les vêtements dont ils ne voulaient plus, leur permettaient de cultiver un minuscule lopin de terre, etc.
La France va s’appuyer sur eux et ça aboutira à l’assassinat de Dessalines et à l’instauration de gouvernements chrétiens qui provoqueront la faillite d’Haïti et se succèderont jusqu’à Preval (1).
Mais ce temps est révolu. Aujourd’hui, un pays ne peut pas continuer à piétiner les droits de 70 % de sa population.
Je pense que nous assistons à la fin des gouvernements chrétiens.
Nous aspirons à une démocratie où chacun soit reconnu dans la société haïtienne et où il y ait du travail pour tous.
Aujourd’hui, Haïti est considérée comme une plaie au concert des nations, sa misère montrée du doigt.
Mais quel pays ne vivrait pas dans la misère si 80% de sa population était privée d’emploi. Qu’on donne du travail aux Haïtiens et vous verrez de quoi ce pays est capable.
CC : Vous avez parlé de la cérémonie de Bois Caïman ; j’ai lu quelque part que vous remettiez en cause la version selon laquelle c’est en buvant le sang d’un cochon créole sacrifié que le pacte aurait été scellé entre tous les participants.
MGB : En effet, il ne s’agissait pas d’un cochon créole, mais d’un jeune homme, Jean-Baptiste Vixamar, qui a accepté de sacrifier sa vie au cours de cette cérémonie (2). Là encore ce sont les chansons qui nous éclairent.
(à suivre)
Entrevue FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)
(1) René Preval est l’actuel président d’Haïti.
(2) Difficile de ne pas voir une volonté de donner une dimension christique au vodou à travers cette version.