dimanche 13 décembre 2009
1726
AFGHANISTAN
TÉMOIGNAGE PERCUTANT DU DIPLOMATE COLVIN
19 nov. 2009
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2009/11/18/009-colvin-temoignage.shtml
Pratiques systémiques de torture par les autorités afghanes, culture du secret au sein des forces armées canadiennes, tentatives de censure de la part de hauts fonctionnaires canadiens: le diplomate Richard Colvin a livré mercredi un témoignage troublant devant le comité parlementaire spécial sur l'Afghanistan, à Ottawa.
M. Colvin, qui travaille aujourd'hui à l'ambassade canadienne à Washington, a oeuvré pour le ministère canadien des Affaires étrangères à Kaboul, puis à l'ambassade canadienne à Kandahar pour une durée totale de 18 mois, en 2006-2007.
D'entrée de jeu, M. Colvin a affirmé devant les membres du comité que, selon les informations sur le terrain, les prisonniers remis aux autorités afghanes avaient probablement tous été torturés. Il a fait état de coups de fouets assénés avec des câbles électriques, de chocs électriques, de privations de sommeil, de soumissions à des températures extrêmes, de blessures à l'arme blanche, de sévices sexuels et de viols.
«Pour les interrogateurs à Kandahar, il s'agissait d'une procédure normale.» — Richard Colvin
Richard Colvin a en outre accusé les commandements civil et militaire canadiens d'avoir mis en place une structure légale et des politiques qui ont augmenté les risques associés aux transferts de prisonniers. M. Colvin a toutefois évité de blâmer les militaires canadiens pour cette situation. Il n'a pas non plus montré de doigt accusateur vers le premier ministre Harper ou ses ministres.
Au cours de son mandat en Afghanistan, il dit avoir envoyé 17 ou 18 rapports portant précisément sur les conditions de détention et les allégations de torture, en plus d'en avoir fait état verbalement. Dans certains cas, il est allé jusqu'à mettre 75 destinataires en copie, incluant des employés de ministères, dont celui des Affaires étrangères, et des organismes militaires.
En 2006, ses avertissements ont dans l'ensemble été ignorés. À partir de 2007, a-t-il ajouté, le numéro deux des Affaires étrangères, David Mulroney, l'a averti de ne plus consigner l'information sur papier mais d'en faire part au cours de conversations téléphoniques. Lors de l'arrivée d'un nouvel ambassadeur, en mai 2007, la documentation reliée aux détenus a été réduite et certains rapports ont été « censurés », expurgeant de l'information cruciale.
«Lorsque j'en ai appris davantage sur les pratiques de détention, j'en suis venu à la conclusion qu'elles étaient contraires aux valeurs canadiennes, contraires aux intérêts du Canada, contraires aux politiques officielles du Canada et aussi contraires au droit international. Elles étaient non conformes à ce que défend le Canada, contreproductives et probablement illégales.»— Richard Colvin
Les détenus transférés par les troupes canadiennes, a-t-il poursuivi, n'étaient pas des « cibles de grande valeur » comme des terroristes d'Al-Qaïda, des fabriquants de bombes ou des commandants afghans et la plupart n'avait « aucun lien avec l'insurrection ». Si certains pouvaient être des fantassins ou combattants, plusieurs n'étaient que des gens issus de la communauté locale « qui étaient là au mauvais moment ».
«En d'autres mots, nous avons détenu et envoyé à la torture plusieurs innocents.»— Richard Colvin
M. Colvin a ajouté que la Croix-Rouge avait tenté d'avertir les Forces canadiennes à Kandahar de la situation des prisonniers pendant trois mois en 2006, mais personne n'a répondu à leurs appels.
Il a toutefois précisé qu'il n'avait jamais entendu d'allusions concernant des actes de torture commis par les militaires canadiens.
LE CANADA, CHAMPION DES TRANSFERTS
Dans son témoignage, le diplomate a comparé le transfert de prisonniers par le Canada avec celui de certains de ses partenaires de l'OTAN, faisant ressortir d'importantes différences. « Le Canada a transféré un nombre stupéfiant de prisonniers, environ 6 fois plus que les forces britanniques et 20 fois plus que les forces néerlandaises », a expliqué M. Colvin.
En outre, les autorités canadiennes ont pris beaucoup plus de temps que les autres à informer la Croix-Rouge du transfert de prisonniers. Les Pays-Bas informaient l'organisme dès le transfert, la Grande-Bretagne le faisait en moins de 24 heures, tandis que la multitude d'étapes suivies par le Canada requérait plusieurs semaines, voire deux mois.
M. Colvin a également fait valoir qu'Ottawa avait gardé les pratiques de transfert « extrêmement secrètes », refusant de révéler le nombre de détenus transférés sous prétexte que cela « violerait les règles de sécurité opérationnelle », alors qu'Amsterdam en parlait ouvertement au Parlement et que Londres révélait publiquement ces chiffres.
Autres différences: le peu d'informations consignées par le Canada sur les prisonniers transférés et l'absence de suivi après le transfert.
«Selon moi, certaines de nos actions à Kandahar, incluant la complicité dans la torture, ont tourné les habitants contre nous. Au lieu de gagner leur coeur et leur esprit, nous avons fait en sorte que les Kandaharis aient peur de nous. Les pratiques de détention du Canada ont aliéné la population contre nous et renforcé l'insurrection.»— Richard Colvin
UN COMITÉ PARTISAN
«Vous jetez de l'huile sur les flammes d'un scandale qui en fait n'en est pas un.»— Le député conservateur Laurie Hawn
Lors de la période de questions ayant suivi son témoignage, les membres conservateurs du comité ont tenté de discréditer ses affimations, évoquant entre autres de possibles actes d'automutilation de la part des prisonniers. « Toutes les preuves que vous donnez [...] proviennent de ouï-dire et de témoignages d'insurgés passés maîtres dans l'art de mentir », a critiqué Laurie Hawn, secrétaire parlementaire du ministre de la Défense. « Je me demande si votre témoignage est crédible », a-t-il conclu.
Les propos de Richard Colvin ont eu un écho différent auprès des députés de l'opposition. Le bloquiste Claude Bachand l'a par exemple félicité pour son « témoignage courageux et explosif ». Libéraux, néodémocrates et bloquistes ont par ailleurs critiqué au passage le gouvernement Harper, évoquant une tentative de camouflage.
Richard Colvin a pour sa part évité d'accuser directement le premier ministre Stephen Harper ainsi que les ministres des Affaires étrangères et de la Défense nationale de l'époque, Peter MacKay et Gordon O'Connor. Il a répondu qu'il était « possible » qu'ils n'aient pas été mis au courant.
Il a cependant reconnu que le gouvernement tentait de limiter les heures pendant lesquelles travaillait son avocate et rappelé qu'il lui avait envoyé des mises en demeure pour l'empêcher de témoigner devant la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire (CEPPM), chargée de faire la lumière sur cette affaire. Dans leurs questions, les députés de l'opposition ont eux-mêmes fait valoir que Richard Colvin risquait la prison s'il comparaissait devant la CEPPM.
Mercredi, la Presse canadienne a révélé que le Bureau du Conseil privé a ordonné à ses diplomates en poste en Afghanistan de taire toute information au sujet des allégations de torture de prisonniers afghans dans leurs rapports officiels.
Réagissant au témoignage de Richard Colvin, le porte-parole du premier ministre Harper, Dimitri Soudas, a déclaré: « Quand nous recevons de l'information crédible, nous agissons en conséquence, comme nous l'avons fait en 2006 quand nous avons changé la façon de transférer les prisonniers. »
AUTRE TÉMOIGNAGE
Le comité a allongé la période de questions sousmises à Richard Colvin, ce qui a raccourci d'autant le temps de parole alloué à un autre témoin, Peter Tinsley, président de la CEPPM. Il a dit aux membres du comité qu'une première plainte que devait examiner la commission s'était réglée à la suite d'une enquête. L'examen d'une deuxième plainte, déposée en 2007 par Amnistie internationale et l'Association des libertés civiles de Colombie-Britannique, est toujours à l'étude, a-t-il ajouté.
La plainte porte sur des allégations selon lesquelles des policiers militaires auraient négligé d'enquêter sur des officiers qui ont ordonné le transfert des détenus aux autorités afghanes, malgré le risque connu de torture. Très peu de preuves ont été présentées jusqu'à présent, a-t-il précisé.
Il poursuivra son témoignage mercredi prochain, les députés n'ayant pas eu le temps de lui poser des questions avant leur retour en Chambre.
Radio-Canada.ca avec Presse canadienne
TÉMOIGNAGE PERCUTANT DU DIPLOMATE COLVIN
19 nov. 2009
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2009/11/18/009-colvin-temoignage.shtml
Pratiques systémiques de torture par les autorités afghanes, culture du secret au sein des forces armées canadiennes, tentatives de censure de la part de hauts fonctionnaires canadiens: le diplomate Richard Colvin a livré mercredi un témoignage troublant devant le comité parlementaire spécial sur l'Afghanistan, à Ottawa.
M. Colvin, qui travaille aujourd'hui à l'ambassade canadienne à Washington, a oeuvré pour le ministère canadien des Affaires étrangères à Kaboul, puis à l'ambassade canadienne à Kandahar pour une durée totale de 18 mois, en 2006-2007.
D'entrée de jeu, M. Colvin a affirmé devant les membres du comité que, selon les informations sur le terrain, les prisonniers remis aux autorités afghanes avaient probablement tous été torturés. Il a fait état de coups de fouets assénés avec des câbles électriques, de chocs électriques, de privations de sommeil, de soumissions à des températures extrêmes, de blessures à l'arme blanche, de sévices sexuels et de viols.
«Pour les interrogateurs à Kandahar, il s'agissait d'une procédure normale.» — Richard Colvin
Richard Colvin a en outre accusé les commandements civil et militaire canadiens d'avoir mis en place une structure légale et des politiques qui ont augmenté les risques associés aux transferts de prisonniers. M. Colvin a toutefois évité de blâmer les militaires canadiens pour cette situation. Il n'a pas non plus montré de doigt accusateur vers le premier ministre Harper ou ses ministres.
Au cours de son mandat en Afghanistan, il dit avoir envoyé 17 ou 18 rapports portant précisément sur les conditions de détention et les allégations de torture, en plus d'en avoir fait état verbalement. Dans certains cas, il est allé jusqu'à mettre 75 destinataires en copie, incluant des employés de ministères, dont celui des Affaires étrangères, et des organismes militaires.
En 2006, ses avertissements ont dans l'ensemble été ignorés. À partir de 2007, a-t-il ajouté, le numéro deux des Affaires étrangères, David Mulroney, l'a averti de ne plus consigner l'information sur papier mais d'en faire part au cours de conversations téléphoniques. Lors de l'arrivée d'un nouvel ambassadeur, en mai 2007, la documentation reliée aux détenus a été réduite et certains rapports ont été « censurés », expurgeant de l'information cruciale.
«Lorsque j'en ai appris davantage sur les pratiques de détention, j'en suis venu à la conclusion qu'elles étaient contraires aux valeurs canadiennes, contraires aux intérêts du Canada, contraires aux politiques officielles du Canada et aussi contraires au droit international. Elles étaient non conformes à ce que défend le Canada, contreproductives et probablement illégales.»— Richard Colvin
Les détenus transférés par les troupes canadiennes, a-t-il poursuivi, n'étaient pas des « cibles de grande valeur » comme des terroristes d'Al-Qaïda, des fabriquants de bombes ou des commandants afghans et la plupart n'avait « aucun lien avec l'insurrection ». Si certains pouvaient être des fantassins ou combattants, plusieurs n'étaient que des gens issus de la communauté locale « qui étaient là au mauvais moment ».
«En d'autres mots, nous avons détenu et envoyé à la torture plusieurs innocents.»— Richard Colvin
M. Colvin a ajouté que la Croix-Rouge avait tenté d'avertir les Forces canadiennes à Kandahar de la situation des prisonniers pendant trois mois en 2006, mais personne n'a répondu à leurs appels.
Il a toutefois précisé qu'il n'avait jamais entendu d'allusions concernant des actes de torture commis par les militaires canadiens.
LE CANADA, CHAMPION DES TRANSFERTS
Dans son témoignage, le diplomate a comparé le transfert de prisonniers par le Canada avec celui de certains de ses partenaires de l'OTAN, faisant ressortir d'importantes différences. « Le Canada a transféré un nombre stupéfiant de prisonniers, environ 6 fois plus que les forces britanniques et 20 fois plus que les forces néerlandaises », a expliqué M. Colvin.
En outre, les autorités canadiennes ont pris beaucoup plus de temps que les autres à informer la Croix-Rouge du transfert de prisonniers. Les Pays-Bas informaient l'organisme dès le transfert, la Grande-Bretagne le faisait en moins de 24 heures, tandis que la multitude d'étapes suivies par le Canada requérait plusieurs semaines, voire deux mois.
M. Colvin a également fait valoir qu'Ottawa avait gardé les pratiques de transfert « extrêmement secrètes », refusant de révéler le nombre de détenus transférés sous prétexte que cela « violerait les règles de sécurité opérationnelle », alors qu'Amsterdam en parlait ouvertement au Parlement et que Londres révélait publiquement ces chiffres.
Autres différences: le peu d'informations consignées par le Canada sur les prisonniers transférés et l'absence de suivi après le transfert.
«Selon moi, certaines de nos actions à Kandahar, incluant la complicité dans la torture, ont tourné les habitants contre nous. Au lieu de gagner leur coeur et leur esprit, nous avons fait en sorte que les Kandaharis aient peur de nous. Les pratiques de détention du Canada ont aliéné la population contre nous et renforcé l'insurrection.»— Richard Colvin
UN COMITÉ PARTISAN
«Vous jetez de l'huile sur les flammes d'un scandale qui en fait n'en est pas un.»— Le député conservateur Laurie Hawn
Lors de la période de questions ayant suivi son témoignage, les membres conservateurs du comité ont tenté de discréditer ses affimations, évoquant entre autres de possibles actes d'automutilation de la part des prisonniers. « Toutes les preuves que vous donnez [...] proviennent de ouï-dire et de témoignages d'insurgés passés maîtres dans l'art de mentir », a critiqué Laurie Hawn, secrétaire parlementaire du ministre de la Défense. « Je me demande si votre témoignage est crédible », a-t-il conclu.
Les propos de Richard Colvin ont eu un écho différent auprès des députés de l'opposition. Le bloquiste Claude Bachand l'a par exemple félicité pour son « témoignage courageux et explosif ». Libéraux, néodémocrates et bloquistes ont par ailleurs critiqué au passage le gouvernement Harper, évoquant une tentative de camouflage.
Richard Colvin a pour sa part évité d'accuser directement le premier ministre Stephen Harper ainsi que les ministres des Affaires étrangères et de la Défense nationale de l'époque, Peter MacKay et Gordon O'Connor. Il a répondu qu'il était « possible » qu'ils n'aient pas été mis au courant.
Il a cependant reconnu que le gouvernement tentait de limiter les heures pendant lesquelles travaillait son avocate et rappelé qu'il lui avait envoyé des mises en demeure pour l'empêcher de témoigner devant la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire (CEPPM), chargée de faire la lumière sur cette affaire. Dans leurs questions, les députés de l'opposition ont eux-mêmes fait valoir que Richard Colvin risquait la prison s'il comparaissait devant la CEPPM.
Mercredi, la Presse canadienne a révélé que le Bureau du Conseil privé a ordonné à ses diplomates en poste en Afghanistan de taire toute information au sujet des allégations de torture de prisonniers afghans dans leurs rapports officiels.
Réagissant au témoignage de Richard Colvin, le porte-parole du premier ministre Harper, Dimitri Soudas, a déclaré: « Quand nous recevons de l'information crédible, nous agissons en conséquence, comme nous l'avons fait en 2006 quand nous avons changé la façon de transférer les prisonniers. »
AUTRE TÉMOIGNAGE
Le comité a allongé la période de questions sousmises à Richard Colvin, ce qui a raccourci d'autant le temps de parole alloué à un autre témoin, Peter Tinsley, président de la CEPPM. Il a dit aux membres du comité qu'une première plainte que devait examiner la commission s'était réglée à la suite d'une enquête. L'examen d'une deuxième plainte, déposée en 2007 par Amnistie internationale et l'Association des libertés civiles de Colombie-Britannique, est toujours à l'étude, a-t-il ajouté.
La plainte porte sur des allégations selon lesquelles des policiers militaires auraient négligé d'enquêter sur des officiers qui ont ordonné le transfert des détenus aux autorités afghanes, malgré le risque connu de torture. Très peu de preuves ont été présentées jusqu'à présent, a-t-il précisé.
Il poursuivra son témoignage mercredi prochain, les députés n'ayant pas eu le temps de lui poser des questions avant leur retour en Chambre.
Radio-Canada.ca avec Presse canadienne