LA JOURNÉE DU CYNISME
Jean-Simon Gagné
19 septembre 2010
Le Soleil
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Il y a la Journée nationale du sommeil, la Journée mondiale de la gentillesse, la Journée mondiale du tricot, et même la Journée de la fierté geek, qui souligne chaque année l'anniversaire de la sortie du premier film de Star Wars, le 25 mai 1977.
Mais la tendance, en matière de journée thématique, ce sont les journées «sans». Sans tabac, sans viande, sans automobile. Tout ça en attendant peut-être l'apothéose: la Journée sans journée.
Ne reculant devant rien, je propose donc d'instaurer une journée du cynisme, qu'on pourrait baptiser Les 24 heures du néant.
ÇA NE SERA PAS FACILE.
D'abord, il faut oublier la journée aujourd'hui, qui n'est plus disponible. En ce 19 septembre, nous célébrons en effet la Journée internationale du langage pirate, inventée par deux Américains, en 1995.
Faudra trouver un autre jour. Et ne pas écouter les cyniques, qui vont sûrement proposer le 29 février, afin que leur jour de gloire ne revienne pas trop souvent.
Ne dit-on que le cynique est celui qui, lorsqu'il sent un parfum de fleur, se met à chercher le cercueil?
Il faut bien l'admettre. Le cynisme est devenu une vedette de notre vie publique.
Même que le discours pour dénoncer le cynisme fait désormais partie des figures imposées en politique.
Je dirais même plus, il figure en bonne place dans la boîte à outils du parfait politicien moderne. Au même titre que la poignée de main ou les souliers vernis.
Depuis un an, la liste de ceux qui ont lancé des appels pour mettre fin au cynisme inclut Mario Dumont, Lucien Bouchard, Jean Charest, Pauline Marois, Michael Ignatieff, Stephen Harper, Nathalie Normandeau et tellement d'autres que si tout ce beau monde avait mis leurs discours en pratique, le cynisme serait mort et enterré.
Finalement, il existe une seule chose qui soit plus pénible que le cynisme. Ce sont les déclarations de politiciens qui dénoncent le cynisme.
[Le cynisme n'est pas mal en soi, il n'est que la constatation de la réalité des choses. Suivra l'indifférence ou la colère selon le tempérament. Le scepticisme est très bien aussi. Il faut aussi noter que la plupart des gens ne remarquent rien.]
Une mention spéciale aux jeunes libéraux québécois, qui se sont récemment élevés contre le cynisme.
À écouter leurs promesses de changer le monde, à l'intérieur d'un parti qui détient le pouvoir depuis sept ans et demi, on aurait dit des bébés requins prêchant les vertus d'un régime végétarien à leurs aînés.
Mais la palme d'or revient à l'ancien premier ministre Jean Chrétien, dont on disait qu'il aurait pu donner des cours du soir à Machiavel lui-même.
En juin, M. Chrétien a lancé un vibrant appel à la jeunesse pour qu'elle dépasse le cynisme.
[Il manquera son conseiller l'ancien maire de Québec aujourd'hui décédé. Et le grand ricaneur qui a déclenché les mesures de guerre pour tester les vertus de la dictature sur le pays profitant des actes de quelques naïfs.]
Et M. Chrétien sait à quel point c'est facile à dire.
Lisez plutôt ce passage, tiré de son autobiographie Passion politique.
M. Chrétien y explique pourquoi il avait présenté en hiver son projet de loi sur la Clarté référendaire, qui irritait tant les souverainistes.
«L'une des raisons pour lesquelles j'avais demandé [...] de présenter [le] projet de loi en décembre, c'est que c'est le mois de la neige et des examens pour les étudiants au Québec. Même les plus extrémistes n'aiment pas beaucoup descendre dans la rue sous la neige et dans le froid. Et c'est le moment de l'année où les étudiants passent des nuits blanches à préparer leurs examens ou rentrent chez eux pour les vacances. À leur retour des vacances de Noël, en dépit de tous les efforts qu'avait déployés Lucien Bouchard pour attiser la colère des Québécois, le débat était clos.»
Plus cynique que cela, tu prononces un discours sur les vertus de l'insecticide biologique à un congrès de sauterelles...
Réflexion faite, nous n'avons peut-être pas besoin d'une journée de plus consacrée au cynisme.
Oublions la journée thématique, si vous le voulez bien.
Et retournons à l'humour, surnommé «la politesse du désespoir».
«La scène se déroule à la commission Bastarache. Le procureur principal interroge un témoin.
- Est-ce que vous réalisez que vous êtes devenu le complice d'un exercice cynique et partial, qui cause un tort considérable à notre système de justice?
À la surprise générale, le témoin regarde par la fenêtre, comme s'il n'avait pas entendu.
Le procureur répète sa question. Beaucoup plus fort.
- Est-ce que vous réalisez que vous êtes devenu le complice d'un exercice cynique et partial, qui cause un tort considérable à notre système de justice?
Encore une fois, le témoin ne répond pas.
Le juge Bastarache se penche alors vers le témoin :
- Monsieur, veuillez répondre à la question, s'il vous plaît.
Le témoin sursaute, comme si on venait de le réveiller.
- Pardonnez-moi, Monsieur le juge. Je croyais que la question vous était adressée.»
Il y a 7 ans
