dimanche 15 mars 2009
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Ce fut au couvent de Panthemont que Justine et moi fûmes élevées. Vous connaissez la célébrité de cette abbaye, et vous savez que c'était de son sein que sortaient depuis bien des années les femmes les plus jolies et les plus libertines de Paris. Euphrosine, cette jeune personne dont je voulus suivre les traces, qui, logée dans le voisinage de mes parents, s'était évadée de la maison paternelle pour se jeter dans le libertinage, avait été ma compagne dans ce couvent ; et comme c'est d'elle et d'une religieuse de ses amies que j'avais reçu les premiers principes de cette morale qu'on est surpris de me voir, aussi jeune, dans les récits que vient de vous faire ma sœur, je dois, ce me semble, avant tout, vous entretenir de l'une et de l'autre... vous rendre un compte exact de ces premiers instants de ma vie où, séduite, corrompue par ces deux sirènes, le germe de tous les vices naquit au fond de mon cœur.
La religieuse dont il s'agit s'appelait Mme Delbène ; elle était abbesse de la maison depuis cinq ans, et atteignait sa trentième année, lorsque je fis connaissance avec elle. Il était impossible d'être plus jolie : faite à peindre, une physionomie douce et céleste, blonde, de grands yeux bleus pleins du plus tendre intérêt, et la taille des Grâces. Victime de l'ambition, la jeune Delbène avait été mise à douze ans dans un cloître, afin de rendre plus riche un frère aîné qu'elle détestait. Enfermée dans l'âge où les passions commencent à s'exprimer, quoique Delbène n'eût encore fait aucun choix, aimant le monde et les hommes en général, ce n'avait pas été sans s'immoler elle-même, sans triompher des plus rudes combats, qu'elle s'était enfin déterminée à l'obéissance. Très avancée pour son âge, ayant lu tous les philosophes, ayant prodigieusement réfléchi, Delbène, en se condamnant à la retraite, s'était ménagé deux ou trois amies. On venait la voir, on la consolait ; et comme elle était fort riche, l'on continuait de lui fournir tous les livres et toutes les douceurs qu'elle pouvait désirer, même celles qui devaient le plus allumer une imagination... déjà fort vive, et que n'attiédissait pas la retraite.
Marquis de Sade (1740 - 1814). Histoire de Juliette ou les Prospérités du vice
La religieuse dont il s'agit s'appelait Mme Delbène ; elle était abbesse de la maison depuis cinq ans, et atteignait sa trentième année, lorsque je fis connaissance avec elle. Il était impossible d'être plus jolie : faite à peindre, une physionomie douce et céleste, blonde, de grands yeux bleus pleins du plus tendre intérêt, et la taille des Grâces. Victime de l'ambition, la jeune Delbène avait été mise à douze ans dans un cloître, afin de rendre plus riche un frère aîné qu'elle détestait. Enfermée dans l'âge où les passions commencent à s'exprimer, quoique Delbène n'eût encore fait aucun choix, aimant le monde et les hommes en général, ce n'avait pas été sans s'immoler elle-même, sans triompher des plus rudes combats, qu'elle s'était enfin déterminée à l'obéissance. Très avancée pour son âge, ayant lu tous les philosophes, ayant prodigieusement réfléchi, Delbène, en se condamnant à la retraite, s'était ménagé deux ou trois amies. On venait la voir, on la consolait ; et comme elle était fort riche, l'on continuait de lui fournir tous les livres et toutes les douceurs qu'elle pouvait désirer, même celles qui devaient le plus allumer une imagination... déjà fort vive, et que n'attiédissait pas la retraite.
Marquis de Sade (1740 - 1814). Histoire de Juliette ou les Prospérités du vice