Descôteaux, Bernard
Le Devoir
19 février 2010
Voyant Lucien Bouchard accepter sans hésitation aucune notre invitation à participer à ce débat sur 100 ans de vie politique au Québec que nous organisions pour souligner le centenaire du Devoir, nous avions vite compris qu'il sortirait de la réserve qu'il avait observée ces neuf dernières années.
Ses propos de mardi soir ont été d'une vigueur inattendue, notamment sa dénonciation de la radicalisation du Parti québécois dans le présent débat sur la laïcité.
Plus attendus, ceux sur la souveraineté étaient non moins provocants.
Plutôt discret depuis sa démission comme chef du Parti québécois et premier ministre du Québec, Lucien Bouchard est néanmoins demeuré un personnage politique.
Même quand il garde le silence, il fait partie des conversations.
Combien de fois n'a-t-on pas spéculé, à droite comme à gauche, sur son éventuel retour en politique?
Les nostalgiques du Lucien Bouchard qui a presque gagné le référendum de 1995 [?] savent maintenant qu'ils ne doivent plus compter sur lui.
Il ne croit plus à la capacité de réaliser ce rêve de la souveraineté, du moins de son vivant.
Ne nous méprenons pas quant aux paroles de Lucien Bouchard.
Il n'a pas dit qu'il n'était plus souverainiste.
Il n'a pas dit que la souveraineté était un projet illégitime.
Toutefois, en affirmant qu'il fallait porter ses rêves vers d'autres projets et d'autres nécessités que la souveraineté, son message ne pouvait être reçu que comme une renonciation.
Dans les faits, son intervention aura été, consciemment ou non, sa deuxième démission du mouvement souverainiste.
Si en janvier 2001, c'est le chef qui démissionnait, mardi, c'est le militant qui abandonnait la partie.
D'entendre cet ancien chef du Bloc québécois puis du Parti québécois inviter ses concitoyens à mettre de côté ce «rêve» de la souveraineté étonne, pour ne pas dire qu'il déçoit.
Personne ne contestera que la perspective d'un prochain référendum sur la souveraineté n'est pas dans un horizon proche.
Les «conditions gagnantes» ne seront pas réunies avant encore plusieurs années, mais qui sait?
Plusieurs fois, on a annoncé la mort prématurée du «séparatisme».
Pierre Elliot Trudeau l'a même officiellement proclamé... quelques mois avant que le Parti québécois ne soit élu en 1976.
Il est difficile de reprocher à Lucien Bouchard ses paroles, car il y a tant d'autres militants souverainistes qui, devant l'impasse actuelle dans laquelle se trouve leur mouvement, ont choisi de s'investir dans d'autres causes, notamment l'environnement.
Il est normal de ressentir une certaine fatigue à force de porter un projet qui n'aboutit pas.
Pour Lucien Bouchard, l'avenir du Québec passe par le rétablissement de finances saines qui assureront la pérennité de ses programmes sociaux.
[Comme si on était de retour dans l'ère Bouchard GROS YEUX- DÉFICIT ZÉRO. Nous sommes dans une récession mondiale, une crise à venir - mondiale encore- qui s'est tout juste pointé le nez l'année dernière. Aussitôt que le souffle du boulet a cessé de roussir les couenne, les «investisseurs» et le «MARCHÉ» ont recommencé leur course suicidaire vers le précipice. Aux applaudissements de tous. Ce n'est pas d'un «assainissement des finances publiques» dont nous avons besoin mais d'un assainissement des financiers publics. Une valse de Templiers numéro 2. ]
Il appelle ses concitoyens à s'investir dans des «rêves» qui permettront de créer une nécessaire richesse collective.
[Dans une monde à 8 - 9 milliards d'habitants, il n'y a plus de richesse collective réservée aux blancx aryens nordiques blonds.]
Il y a dans ce que propose M. Bouchard des défis qu'il faut certes relever collectivement sans attendre le grand soir de l'indépendance.
Mais faut-il pour autant mettre de côté tout autre projet de définir l'avenir politique du Québec?
Aussi lointaine que puisse être sa concrétisation, la souveraineté est le moteur de l'engagement politique de nombre de Québécois.
Dans l'immédiat, il est par ailleurs le seul projet qui permette d'échapper à un certain fatalisme.
L'abandonner voudrait dire se résigner au fédéralisme tel qu'il se pratique.
Se résigner au statu quo.
Se résigner à vivre avec cette Constitution de 1982 imposée au Québec unilatéralement.
Se résigner à voir le poids politique du Québec diminuer au fil du prochain siècle, sans se donner une solution de rechange.
De cela, il faut en être conscient, lucidement.
Numéro de document : news•20100219•LE•283362