
Gagné, Jean-Simon
Le Soleil
19 février 2010
Mes amis, bienvenue à votre première leçon d'art dramatique.
Aujourd'hui, nous allons jouer le rôle de Lucien Bouchard, le politicien chouchou des Québécois.
Je sais. Certains préféreraient un sujet plus rigolo.
Mais dites-vous que ça pourrait être pire.
Nous pourrions lire des passages du Traité du désespoir, du très pimpant Soren Kierkegaard.
[C'est l'équivalent. Mais Cioran est mieux dans le genre suicidaire joyeux!]
[Tout est préférable à l'air bête!]
Quoi qu'il en soit, un bon professeur ne commence jamais une leçon sans raconter une anecdote. Alors, je vous offre cette mésaventure survenue récemment à un touriste, dans une station de ski d'Autriche.
Personne n'avait réalisé que le malheureux se trouvait encore dans une cabine du téléférique, lorsque les installations ont été fermées pour la nuit.
Le gars s'est retrouvé très haut dans les airs, par - 20 degrés. Il a vite compris qu'il ne tiendrait pas jusqu'au matin.
Pour attirer l'attention, il a eu l'idée de mettre le feu au contenu de son portefeuille. D'abord les cartes d'affaires. Puis les billets de banque. Il en était à son dernier billet, une coupure de 20 euros, quand on l'a enfin remarqué.
Ai-je entendu murmurer que des expressions comme "flamber tout son argent" ou "l'argent lui brûle les mains" prennent tout leur sens?
Écoutez, ça ne me regarde pas. Mais croyez-vous qu'en répétant ce genre de jeux de mots à la noix, vous allez devenir un Lucien Bouchard crédible?
Passons aux choses sérieuses. Pour vraiment incarner l'ancien premier ministre Bouchard, quelques règles de base s'imposent.
D'abord, si vous êtes en public, ne prononcez jamais les mots Québec ou Québécois sans afficher un rictus douloureux.
Pour ceux qui manquent d'imagination, pensez à celui d'un missionnaire placé à bouillir dans une marmite, avec pour seule compagnie quelques rares rondelles d'oignon.
De plus, M. Bouchard n'évoque jamais l'avenir du Québec sans prévoir un cataclysme, pour ne pas dire l'apocalypse.
Le Québec est "paralysé", "immobile", menacé par le "radicalisme".
Les Québécois travaillent "infiniment" moins que les Américains.
La souveraineté est "irréalisable".
J'en passe, car il ajoute du même souffle que le Québec est en "panne de rêve", comme s'il constituait lui-même un modèle d'enthousiasme.
Avec M. Bouchard, il ne suffit pas de donner sa vie pour la patrie.
Pour être à la hauteur, il faut en plus se morfondre en songeant qu'on ne peut pas la donner plus d'une fois.
Le Québec décrit par M. Bouchard ressemble à l'enfant gâté de Woody Allen qui écrit à ses parents :
"Cher papa et chère maman, veuillez me laisser 50 000 $ dans un sac, sous le pont de la rue Decatur. S'il n'y a pas de pont sur la rue Decatur, veuillez en construire un."
Pour compléter l'interprétation, on ne saura trop vous conseiller d'esquiver les contradictions de votre personnage.
Par exemple, si un petit morveux rappelle le temps où vous dénonciez le "froid vent de droite" venu de l'Ouest, faites la sourde oreille.
Et si on ressort vos propos démagogiques de jadis - disons ceux où vous compariez Jean Charest à Ronald Reagan, à Margaret Thatcher ou à un "permafrost" néolibéral - prenez un air de diva courroucée.
En dernier recours, si vous êtes en panne d'arguments, évoquez la mémoire de René Lévesque.
Si possible en empruntant une grosse voix de croque- mitaine, qui ne tolère pas la contradiction.
Du genre : "M. Lévesque n'aurait jamais accepté ça!"
Que risquez-vous, après tout?
Qu'un dénommé René Lévesque se lève pour vous contredire?
Le cas échéant, il sera toujours temps de suivre le conseil qu'avait donné le cardinal de New York à son secrétaire, en apprenant qu'un homme prétendant s'appeler Jésus Christ attendait à la porte de l'archevêché.
"Faites semblant d'être très occupé."
Suffit. La bienséance veut qu'un prof de théâtre propose une réflexion, en fin de séance. Alors, je vous laisse sur la réaction d'un chroniqueur britannique, le jour où le Wisden Almanach, une sorte de bible du cricket, a rompu avec 140 ans de tradition en plaçant une photographie sur sa page couverture.
"C'est comme mettre la photo de Judas sur les éditions de la sainte Bible", avait-il écrit.
Tellement exagérée, qu'on dirait Lucien Bouchard...
Numéro de document : news•20100219•LS•0011