dimanche 9 août 2009
845. NOS AMIES LES FEMMES VUES PAR NOS GRANDS AUTEURS
Un homme et son péché. Claude-Henri Grignon, 1933
EXTRAIT
Comme toute les choses qu’elle savait, Donalda avait appris à laver un plancher chez ses parents, à l’époque de la colonisation, au Lac-du-Caribou. Et c’était d’une valeur si considérable que le vieux garçon Séraphin Poudrier, dit le riche, l’avait tout de suite remarqué. Il lisait dans les gestes. Ses hautes qualités de paysans rotors le poussaient à rechercher, dans la femme la bête de travail beaucoup plus que la bête de plaisir. Comment aurait-il pu hésiter puisqu’il posséderait les deux?
Il connut Donalda, enfant. Il la convoitait depuis le jour où il l’avait rencontré dans un champ de fraises. Elle s’était assise près de lui et il avait été frappé par la blancheur de ses bras et par la fermeté de sa poitrine, si opulente pour son âge. Il l’aimait. Il se laissa d’abord entraîner par le fleuve de l’impureté dont il ne chercha jamais à découvrir la source. Puis, peu à peu, il se fit à l’idée qu’elle pourrait devenir sa femme. Quand la petite eut 20 ans, il l’épousa. Il en avait 40.
Les troubles de la chair qu’il combattait depuis tant d’années l’envahissaient maintenant ainsi qu’une crue prodigieuse de limon. Mais Séraphin ne se laissa point attendrir comme un fol, ni par le cœur, ni par les sens. Il se rendit compte avec une précision d’usurier que s’il se laissait aller à la passion de la chair, la petite Donalda Laloge finirait par lui coûter les yeux de la tête et lui mangerait jusqu'à la dernière terre du rang. Il lutta tant et si bien, de nuit et de jour, qu’il fit de sa femme moins qu’une servante : pas autre chose qu’une bête de somme.
Cette paysanne, fraîche comme un pommier en fleurs, prédestinées aux adorables enlacements, assaillies des désirs que l’invincible atavisme faisait croître autour d’elle comme en un printemps sans fin, ne connut jamais les joies de la charnalité.
Elle passa, sans transition, du soir des noces à la vie amère, cassante et matérielle du ménage, sans avoir même éprouvé la sensation d’un baiser lent et profond.
Une fois, une seule fois, Séraphin la posséda brutalement, mais refusa net de lui faire un fils qu’elle désirait avec tant d’amour de par l’hérédité la plus lointaine.
-Je n’aime pas les enfants, avait-il dit, avant de s’endormir.
Dans une autre circonstance, il s’était livré :
-Tu sais, ma fille, que des enfants, ça finit par coûter cher.
Donalda n’en parla plus jamais. Et, en moins de 6 mois de mariage, elle devient cette mécanique qui sert à traire les vaches, à cuire le pain, à filer la laine, à repriser des habits puants, à faire la cuisine, à laver la vaisselle, à nettoyer le plancher, à veiller les malades la nuit, à rechausser les patates, à préparer les feux, à travailler sur la terre au temps des semailles et des récoltes, enfin, elle devint la femme à tout faire, excepté l’amour.
Et si les flammes de la luxure s’acharnaient sur Séraphin, l’homme alors les combattait comme il pouvait.
Les premières fois, Donalda se roulait dans le lit conjugal, tandis que l’époux, à ses côtés dormait comme bûche. Une soif intense la torturait. Elle ne bougeait pas, et peu à peu son corps devenait une chose inerte.
Des semaines, des mois coulèrent lentement, lourdement, ainsi que les eaux chargées d’un fleuve dans un port. La femme s’habitua à cette vie séparée de l’âme et, un beau jour, le mal s’en alla tout seul. Elle ne désirait plus l’homme, et sa chair la laissa tranquille.
Dévorée par l’énergie toujours croissante chez les descendants de défricheurs, cette paysanne, afin d’oublier la vie, travaillait 12, 16 et 18 heures par jour, désespérément, comme si un châtiment implacable eût pesé sur elle ou comme si la mort ne venait pas assez tôt.
Séraphin, sans doute, trouvait sa femme dépareillée, et il alla jusqu’à avouer avec la plus grave imprudence que pour faire cuire le pain et pour mettre le plancher jaune comme de l’or, Donalda n’avait pas sa comparable dans tout le comté.
EXTRAIT
Comme toute les choses qu’elle savait, Donalda avait appris à laver un plancher chez ses parents, à l’époque de la colonisation, au Lac-du-Caribou. Et c’était d’une valeur si considérable que le vieux garçon Séraphin Poudrier, dit le riche, l’avait tout de suite remarqué. Il lisait dans les gestes. Ses hautes qualités de paysans rotors le poussaient à rechercher, dans la femme la bête de travail beaucoup plus que la bête de plaisir. Comment aurait-il pu hésiter puisqu’il posséderait les deux?
Il connut Donalda, enfant. Il la convoitait depuis le jour où il l’avait rencontré dans un champ de fraises. Elle s’était assise près de lui et il avait été frappé par la blancheur de ses bras et par la fermeté de sa poitrine, si opulente pour son âge. Il l’aimait. Il se laissa d’abord entraîner par le fleuve de l’impureté dont il ne chercha jamais à découvrir la source. Puis, peu à peu, il se fit à l’idée qu’elle pourrait devenir sa femme. Quand la petite eut 20 ans, il l’épousa. Il en avait 40.
Les troubles de la chair qu’il combattait depuis tant d’années l’envahissaient maintenant ainsi qu’une crue prodigieuse de limon. Mais Séraphin ne se laissa point attendrir comme un fol, ni par le cœur, ni par les sens. Il se rendit compte avec une précision d’usurier que s’il se laissait aller à la passion de la chair, la petite Donalda Laloge finirait par lui coûter les yeux de la tête et lui mangerait jusqu'à la dernière terre du rang. Il lutta tant et si bien, de nuit et de jour, qu’il fit de sa femme moins qu’une servante : pas autre chose qu’une bête de somme.
Cette paysanne, fraîche comme un pommier en fleurs, prédestinées aux adorables enlacements, assaillies des désirs que l’invincible atavisme faisait croître autour d’elle comme en un printemps sans fin, ne connut jamais les joies de la charnalité.
Elle passa, sans transition, du soir des noces à la vie amère, cassante et matérielle du ménage, sans avoir même éprouvé la sensation d’un baiser lent et profond.
Une fois, une seule fois, Séraphin la posséda brutalement, mais refusa net de lui faire un fils qu’elle désirait avec tant d’amour de par l’hérédité la plus lointaine.
-Je n’aime pas les enfants, avait-il dit, avant de s’endormir.
Dans une autre circonstance, il s’était livré :
-Tu sais, ma fille, que des enfants, ça finit par coûter cher.
Donalda n’en parla plus jamais. Et, en moins de 6 mois de mariage, elle devient cette mécanique qui sert à traire les vaches, à cuire le pain, à filer la laine, à repriser des habits puants, à faire la cuisine, à laver la vaisselle, à nettoyer le plancher, à veiller les malades la nuit, à rechausser les patates, à préparer les feux, à travailler sur la terre au temps des semailles et des récoltes, enfin, elle devint la femme à tout faire, excepté l’amour.
Et si les flammes de la luxure s’acharnaient sur Séraphin, l’homme alors les combattait comme il pouvait.
Les premières fois, Donalda se roulait dans le lit conjugal, tandis que l’époux, à ses côtés dormait comme bûche. Une soif intense la torturait. Elle ne bougeait pas, et peu à peu son corps devenait une chose inerte.
Des semaines, des mois coulèrent lentement, lourdement, ainsi que les eaux chargées d’un fleuve dans un port. La femme s’habitua à cette vie séparée de l’âme et, un beau jour, le mal s’en alla tout seul. Elle ne désirait plus l’homme, et sa chair la laissa tranquille.
Dévorée par l’énergie toujours croissante chez les descendants de défricheurs, cette paysanne, afin d’oublier la vie, travaillait 12, 16 et 18 heures par jour, désespérément, comme si un châtiment implacable eût pesé sur elle ou comme si la mort ne venait pas assez tôt.
Séraphin, sans doute, trouvait sa femme dépareillée, et il alla jusqu’à avouer avec la plus grave imprudence que pour faire cuire le pain et pour mettre le plancher jaune comme de l’or, Donalda n’avait pas sa comparable dans tout le comté.