mardi 28 avril 2009
367
CHRISTIAN DUFOUR CONTRE LES MOUTONS
Louis Cornellier
Le Devoir Édition du samedi 08 et du dimanche 09 novembre 2008
http://www.ledevoir.com/2008/11/08/214836.html
Le politologue Christian Dufour présente son essai Les Québécois et l'anglais comme «un signal d'alarme». «En effet, écrit-il, une partie des francophones semblent tentés d'abdiquer l'essentiel sous couvert d'ouverture au monde, de tolérance et de soi-disant réalisme. [...]
On en vient à valoriser à ce point le bilinguisme et l'anglais qu'on ne se préoccupe plus vraiment de la prédominance du français dans toute une série de domaines.»
Pour ceux qui savent à quel point c'est d'abord la langue qui définit l'expérience historique et existentielle d'un peuple, il y a de quoi s'inquiéter pour l'avenir de la majorité québécoise. Et le pire, suggère Dufour, c'est que cette menace provient surtout des francophones eux-mêmes.
Selon une récente étude du Conseil supérieur de la langue française, les jeunes francophones québécois ressentent «un grand sentiment de sécurité à l'égard du français au Québec» et ont tendance, par souci de bonne entente, à opter pour l'anglais comme langue de travail et de conversation dès qu'ils entendent un accent autre que typiquement québécois.
«Sous les beaux oripeaux à la mode, constate Dufour, sous leurs allures cool, bon nombre de jeunes Québécois sont en 2008 de beaux moutons dociles en ce qui a trait au rapport avec la langue anglaise.»
Si on ajoute à cette juvénile tentation de l'abdication le cas de ces ministères et organismes du gouvernement du Québec qui offrent des services en anglais sur demande, celui des compagnies contrôlées par des francophones -- par exemple la Banque Nationale -- qui pratiquent le bilinguisme dans leurs messages d'attente téléphonique, celui des artistes francophones à la Pascale Picard qui ne jurent que par le succès anglo et celui des milieux intellectuels dans lesquels ne pas parler anglais est souvent perçu comme honteux, force est de constater que les jovialistes, dans ce dossier, sont des suicidaires heureux.
Attention, lance Christian Dufour. Notre situation géopolitique ne se compare pas à celle de certains pays européens (Pays-Bas, Norvège, Suède, Danemark) que l'on nous présente comme des modèles de multilinguisme. Ces pays sont indépendants, n'ont pas de minorité anglophone et se situent dans un environnement où règne la diversité linguistique et culturelle. Le bilinguisme de leurs citoyens, d'ailleurs, est le plus souvent rudimentaire.
Le cas du Québec, situé au coeur de l'anglophonie, est radicalement différent. C'est la raison pour laquelle «une certaine crainte face à la progression de l'anglais au Québec, une peur de se faire avoir, folkloriser, voire assimiler, n'a rien d'irraisonnable, quoi qu'en diront ceux qui la ridiculiseront».
Au Canada, le pourcentage des francophones est «en systématique régression» et, dans la grande région de Montréal, la place du français comme langue maternelle et comme langue d'usage à la maison est en baisse.
Aussi, insiste Dufour, dans ce contexte, faire l'éloge du multilinguisme est «mystificateur» parce que ce dernier «servirait au Québec à camoufler le retour de la vieille domination de l'anglais, après que le bilinguisme lui eut servi d'étape».
Les Québécois francophones sont déjà, en comparaison avec la plupart des peuples de la planète, très bilingues. C'est bien sûr une bonne nouvelle dans la mesure où ce bilinguisme reste individuel et, surtout, non essentiel. La connaissance d'une autre langue doit être considérée comme un savoir parmi tant d'autres et non comme une obligation moderne.
À ce titre, par exemple, et pour refroidir les fanatiques du bilinguisme, Dufour, citant Christian Rioux, rappelle «qu'un grand nombre de personnalités politiques internationales de premier plan ne [parlent] pas anglais, ni à Berlin, ni à Moscou, ni à Madrid, ni bien sûr à Paris».
Les Québécois francophones n'ont donc pas à devenir tous bilingues pour éviter les limbes de l'histoire. Au contraire. À la suite de Victor-Lévy Beaulieu, Dufour avance que la généralisation du bilinguisme au Québec nuirait grandement au statut du français. Les non-francophones ne seraient plus motivés à apprendre le français, l'élite canadienne-anglaise et fédérale mettrait aussi un terme à ses efforts en ce sens et les produits culturels en français perdraient un important marché.
Le résultat inévitable serait un recul du statut du français et un affaiblissement de l'attachement à cette langue sans laquelle -- c'est une puissante évidence trop souvent incomprise -- nous ne serions plus ce que nous sommes, mais d'éternels citoyens de deuxième zone de l'anglophonie.
«L'objectif de cet essai, insiste Christian Dufour, n'est pas de partir en guerre de façon ringarde contre un anglais présent dans notre société de multiples façons.» Le politologue rappelle en effet à plusieurs reprises que l'anglais -- comme langue et comme culture -- est «une partie intégrante de notre identité» et qu'il importe, pour cette raison même, de le reconnaître (contre les purs et durs qui le nient) et de le gérer (contre la tentation minoritaire fataliste).
«La pertinence de la règle de la claire prédominance du français au Québec [sans prohibition de l'anglais], explique Dufour, trouve son origine dans le fait que, même s'il a été important, l'ajout britannique n'est pas au coeur de l'identité québécoise de la même manière que le sont le vieux fond français et le vieux fond canadien de l'époque du Régime français. [...]
Essayer de bilinguiser le Québec, c'est vouloir réécrire l'histoire, en faisant de 1763 le moment fondateur de notre identité sans en voir les aspects négatifs.»
Dufour invite donc les Québécois francophones à affirmer le français dans leur vie privée et au travail. Au plan collectif, il plaide notamment pour que l'administration publique dispense ses services en français (sauf exceptions légales), pour une gestion prudente de l'immigration, pour des politiques publiques natalistes et pour des règles contraignantes en matière linguistique au besoin (en ce qui concerne la liberté de choix linguistique au cégep, par exemple).
Dufour, qui s'égare un peu en évoquant une certaine «médiocrité» québécoise, rappelle néanmoins avec raison que la claire prédominance du français au Québec est, non seulement notre distinction, mais notre oxygène même.
Louis Cornellier
Le Devoir Édition du samedi 08 et du dimanche 09 novembre 2008
http://www.ledevoir.com/2008/11/08/214836.html
Le politologue Christian Dufour présente son essai Les Québécois et l'anglais comme «un signal d'alarme». «En effet, écrit-il, une partie des francophones semblent tentés d'abdiquer l'essentiel sous couvert d'ouverture au monde, de tolérance et de soi-disant réalisme. [...]
On en vient à valoriser à ce point le bilinguisme et l'anglais qu'on ne se préoccupe plus vraiment de la prédominance du français dans toute une série de domaines.»
Pour ceux qui savent à quel point c'est d'abord la langue qui définit l'expérience historique et existentielle d'un peuple, il y a de quoi s'inquiéter pour l'avenir de la majorité québécoise. Et le pire, suggère Dufour, c'est que cette menace provient surtout des francophones eux-mêmes.
Selon une récente étude du Conseil supérieur de la langue française, les jeunes francophones québécois ressentent «un grand sentiment de sécurité à l'égard du français au Québec» et ont tendance, par souci de bonne entente, à opter pour l'anglais comme langue de travail et de conversation dès qu'ils entendent un accent autre que typiquement québécois.
«Sous les beaux oripeaux à la mode, constate Dufour, sous leurs allures cool, bon nombre de jeunes Québécois sont en 2008 de beaux moutons dociles en ce qui a trait au rapport avec la langue anglaise.»
Si on ajoute à cette juvénile tentation de l'abdication le cas de ces ministères et organismes du gouvernement du Québec qui offrent des services en anglais sur demande, celui des compagnies contrôlées par des francophones -- par exemple la Banque Nationale -- qui pratiquent le bilinguisme dans leurs messages d'attente téléphonique, celui des artistes francophones à la Pascale Picard qui ne jurent que par le succès anglo et celui des milieux intellectuels dans lesquels ne pas parler anglais est souvent perçu comme honteux, force est de constater que les jovialistes, dans ce dossier, sont des suicidaires heureux.
Attention, lance Christian Dufour. Notre situation géopolitique ne se compare pas à celle de certains pays européens (Pays-Bas, Norvège, Suède, Danemark) que l'on nous présente comme des modèles de multilinguisme. Ces pays sont indépendants, n'ont pas de minorité anglophone et se situent dans un environnement où règne la diversité linguistique et culturelle. Le bilinguisme de leurs citoyens, d'ailleurs, est le plus souvent rudimentaire.
Le cas du Québec, situé au coeur de l'anglophonie, est radicalement différent. C'est la raison pour laquelle «une certaine crainte face à la progression de l'anglais au Québec, une peur de se faire avoir, folkloriser, voire assimiler, n'a rien d'irraisonnable, quoi qu'en diront ceux qui la ridiculiseront».
Au Canada, le pourcentage des francophones est «en systématique régression» et, dans la grande région de Montréal, la place du français comme langue maternelle et comme langue d'usage à la maison est en baisse.
Aussi, insiste Dufour, dans ce contexte, faire l'éloge du multilinguisme est «mystificateur» parce que ce dernier «servirait au Québec à camoufler le retour de la vieille domination de l'anglais, après que le bilinguisme lui eut servi d'étape».
Les Québécois francophones sont déjà, en comparaison avec la plupart des peuples de la planète, très bilingues. C'est bien sûr une bonne nouvelle dans la mesure où ce bilinguisme reste individuel et, surtout, non essentiel. La connaissance d'une autre langue doit être considérée comme un savoir parmi tant d'autres et non comme une obligation moderne.
À ce titre, par exemple, et pour refroidir les fanatiques du bilinguisme, Dufour, citant Christian Rioux, rappelle «qu'un grand nombre de personnalités politiques internationales de premier plan ne [parlent] pas anglais, ni à Berlin, ni à Moscou, ni à Madrid, ni bien sûr à Paris».
Les Québécois francophones n'ont donc pas à devenir tous bilingues pour éviter les limbes de l'histoire. Au contraire. À la suite de Victor-Lévy Beaulieu, Dufour avance que la généralisation du bilinguisme au Québec nuirait grandement au statut du français. Les non-francophones ne seraient plus motivés à apprendre le français, l'élite canadienne-anglaise et fédérale mettrait aussi un terme à ses efforts en ce sens et les produits culturels en français perdraient un important marché.
Le résultat inévitable serait un recul du statut du français et un affaiblissement de l'attachement à cette langue sans laquelle -- c'est une puissante évidence trop souvent incomprise -- nous ne serions plus ce que nous sommes, mais d'éternels citoyens de deuxième zone de l'anglophonie.
«L'objectif de cet essai, insiste Christian Dufour, n'est pas de partir en guerre de façon ringarde contre un anglais présent dans notre société de multiples façons.» Le politologue rappelle en effet à plusieurs reprises que l'anglais -- comme langue et comme culture -- est «une partie intégrante de notre identité» et qu'il importe, pour cette raison même, de le reconnaître (contre les purs et durs qui le nient) et de le gérer (contre la tentation minoritaire fataliste).
«La pertinence de la règle de la claire prédominance du français au Québec [sans prohibition de l'anglais], explique Dufour, trouve son origine dans le fait que, même s'il a été important, l'ajout britannique n'est pas au coeur de l'identité québécoise de la même manière que le sont le vieux fond français et le vieux fond canadien de l'époque du Régime français. [...]
Essayer de bilinguiser le Québec, c'est vouloir réécrire l'histoire, en faisant de 1763 le moment fondateur de notre identité sans en voir les aspects négatifs.»
Dufour invite donc les Québécois francophones à affirmer le français dans leur vie privée et au travail. Au plan collectif, il plaide notamment pour que l'administration publique dispense ses services en français (sauf exceptions légales), pour une gestion prudente de l'immigration, pour des politiques publiques natalistes et pour des règles contraignantes en matière linguistique au besoin (en ce qui concerne la liberté de choix linguistique au cégep, par exemple).
Dufour, qui s'égare un peu en évoquant une certaine «médiocrité» québécoise, rappelle néanmoins avec raison que la claire prédominance du français au Québec est, non seulement notre distinction, mais notre oxygène même.