DE RECHTHALTEN (DIRLARET) & SANKT URSEN (ST-OURS)
Egger Ph.
Détroussée et mutilée durant une nuit d’automne, une mendiante est ensuite convaincue de sorcellerie au terme d’une enquête pour le moins particulière.
Automne 1730. Le bucolique Pays de Fribourg est à l’image du temps : catholique, intolérant, superstitieux et cruel, comme seuls les pauvres savent l’être à l’égard des miséreux.
Montesquieu, Voltaire, Diderot et le siècle des Lumières, en pleine floraison, sont bien loin et nul n’en a cure ici.Le bailli Béat-Nicolas de Montenach est à la chasse, plaisir réservé aux aristocrates.
C’est un homme autoritaire, que la poursuite du gibier détend. Il se prétend une fine gâchette. Voici qu’un renard passe à portée : il tire. L’animal est blessé à la patte gauche. Montenach et ses chiens courent sur la bête. Maître Goupil disparaît pourtant, laissant derrière lui comme un son de voix humaine : "Vous m’avez fait bien mal, Monsieur le bailli !"
Montenach rentre chez lui bredouille et perplexe. Entendrait-il des voix ?
UNE PLUIE FROIDE ET TRISTE TOMBE.
Une mendiante frappe à la porte des Purro, près de Villargiroud. Elle demande l’hospitalité. Il fait froid et elle ne tient pas à passer la nuit dehors. Elle quémande un morceau de pain et du lait. On lui donne à manger et elle s’installe dans la grange, où elle s’endort rapidement dans la paille. Elle s’appelle Catherine Repond, dite "la Catillon".
Elle a 68 ans et tout le monde la connaît dans le pays, où elle mendie, fait quelques petits travaux, file parfois de la laine à Berne, chez les protestants.
On s’en méfie. Elle aurait des pouvoirs occultes ; elle jetterait des sorts aux rares audacieux qui lui refusent le gîte et le couvert.
Cette nuit-là, dans la grange des Purros, des inconnus - deux hommes et une femme, dira-t-elle lui tombent dessus à bras raccourcis. A son réveil, la Catillon n’a plus ni chapeau, ni tablier, ni bissac. Les agresseurs lui ont aussi coupé les orteils.
Emportant avec elle ses doigts de pied coupés, elle marche clopin-clopant jusqu’à Orsonnens, où elle montre ses blessures.
Cette histoire insolite parvient aux oreilles du bailli Montenach. Le renard qui lui a échappé, serait-ce la Catillon, transformée en animal et qui, blessée, aurait repris forme humaine pour s’enfuir ?
En avril 1731, une enquête est ouverte sur les rumeurs de sorcellerie qui entourent la Catillon.
Le 20 mai, elle est jetée au cachot du château de Corbières où réside de Montenach en attendant son procès.
La nouvelle de l’arrestation se répand dans le pays et les langues se délient : la Catillon est méchante, mauvaise langue, elle manque parfois la messe.
Ses maléfices gâtent le fromage et rendent le bétail malade.
Bref, on l’accuse de tous les péchés du monde.
4 juin 1731, premier interrogatoire, mené par le bailli Montenach qui, selon le système de l’époque, remplit également des fonctions judiciaires. Il est entouré d’assesseurs dociles et dévoués.
La Catillon raconte qu’elle a demandé refuge aux Purro, qui l’ont d’abord accueillie, puis mutilée et chassée.
Montenach n’aime guère cette version des faits. Il essaie de l’amener à se contredire, mais rien n’y fait.
Laissé, irrité, Montenach recourt à la procédure fribourgeoise de l’époque : la "simple corde" pour le prévenu qui nie.
Devant les juges, secrètement ravis du spectacle, le bourreau saisit la Catillon.
Il lui attache les mains dans le dos avec une longue corde. Au plafond, une poulie. On y passe la corde puis, avec un treuil, on hisse la suppliciée et on lui imprime un mouvement de va-et-vient. Les hurlements de douleur qu’elle pousse titillent Montenach et ses acolytes.
Rapidement, la suppliciée "avoue" que, en réalité, elle a reçu une balle dans le pied. Montenach l’œil gourmand, demande si elle n’a pas été blessée après avoir pris la forme d’un renard.
Que non, que non, Seigneur, je ne sais pas me changer en bête, se défend la malheureuse. Cette fois c’en est trop !
La Catillon ne veut pas avouer ? On saura la faire parler.
Au moyen du deuxième gadget fribourgeois : au supplice de la "simple corde", on ajoute un poids de 50 kilos attaché aux pieds mutilés, et on la suspend de nouveaux. Ses articulations sautent, elle hurle la souffrance, mais elle s’obstine à nier. On recommence. En vain. Les juges ajoutent 50 kilos de plus.
La Catillon résiste, tout en criant de plus belle Montenach, tortionnaire aristocrate et distingué, commence à en avoir assez : il lui demande simplement de reconnaître qu’elle a pactisé avec le diable et fait acte de sorcellerie. Elle s’obstine.
On lit au procès-verbal : "étant soulevée pour la troisième fois au quintal, elle est devenue toute noire au visage et de l’écume en la bouche, sans pouvoir parler. On a été dans l’obligation de la promptement relâcher."
Exercice réussi : la Catillon avoue tout ce qu’on veut pour échapper à la torture : elle va au sabbat, elle se déplace sur un manche à balai, elle a même forniqué avec le diable à plusieurs reprises.
Montenach est ravi : voilà une affaire rondement menée et des aveux convaincants. La Catillon est transférée à la prison de Fribourg.
Sans doute pour éviter une erreur judiciaire, on la torture encore une fois pour qu’elle confirme ses aveux.
Elle maintient quand même qu’elle n’a jamais fait de tort à personne, et que c’est bien dans la grange des Purro qu’elle a été blessée.
Protestations illusoires : Catherine Repond, dite "la Catillon", reconnue coupable de sorcellerie, est condamnée à mort le 15 septembre 1731.
Le catholicisme, on le sait, est une religion de charité : les juges ordonnent donc qu’on l’étrangle avant de la brûler, pour qu’elle souffre moins. Ah, les braves gens !
C’est donc un corps inanimé que les flammes dévorent sur un bûcher aux portes de la ville, face à une assistance nombreuse ravie du spectacle, bien que contrariée que la sorcière n’ait pas brûlée vive pour la plus grande joie des spectateurs.
Les exécutions sont au XVIIIe siècle l’équivalent de "Star Academy" de nos jours...
En 1967, l’historien Nicolas Morard a minutieusement étudié cette affaire. Pour lui, le procès était truqué.
Passons sur le fait que le bûcher avait, en principe, été aboli, mais qu’on y a quand même condamné la malheureuse.
Montenach, trouble personnage, avait déclenché lui-même les poursuites, ce qui est tout à fait exceptionnel en matière de sorcellerie.
Les Purro surtout - seuls témoins des faits n’ont jamais été confrontés à l’accusée.
Quel était donc le véritable enjeu du procès ?
Selon l’historien, la "sorcière" avait des relations chez les patriciens de Fribourg, et elle connaissait les épouses de notables bernois. De là à conclure qu’elle savait des choses gênantes pour Montenach ou un de ses alliés, il n’y a qu’un pas.
C’était une bavarde impénitente, une langue de vipère, dirait-on. Et le meilleur moyen de la faire taire n’était-il pas de la conduire au bûcher sous l’accusation infamante de sorcellerie ?
Un livre éclaire l'histoire de la dernière femme brûlée en Suisse pour sorcellerie d'un jour nouveau. Son exécution en 1731 aurait caché un trafic de fausse monnaie.
Réhabilitation attendue
Après Glaris il y a quelques mois, le canton de Fribourg va-t-il à son tour réhabiliter une prétendue sorcière? L'éventualité se précise.
En effet, l'historien et député au Grand Conseil Jean-Pierre Dorand (PDC) va prochainement entamer une démarche en vue de rendre son honneur à Catherine Repond, dite Catillon, dernière femme de Suisse à avoir été brûlée pour sorcellerie, sur le bûcher du Guintzet, à Fribourg, en 1731.
Un ouvrage, qui vient de sortir de presse, va lui permettre d'étayer sa cause. Josianne Ferrari-Clément, historienne, a mis en lumière des sources qui éclairent l'affaire d'un jour nouveau. Selon elle, Catillon figure faisant partie de la mémoire collective des Fribourgeois a été exécutée car elle en savait trop.
Le patriciat fribourgeois, alors au pouvoir, a fait d'elle une sorcière pour occulter les agissements d'un réseau de faux-monnayeurs auquel Catherine Repond était liée au même titre que certains patriciens. Témoin encombrant, on aurait voulu la faire taire en l'accusant de pactiser avec le diable.
La bohème...
Retour dans un passé aux mœurs cruelles. Née en 1663, Catillon vit à Villarvolard, petit village qui domine aujourd'hui le lac de la Gruyère. Elle mènera une existence de bohème, sillonnant plaines et montagnes jusqu'en France et en Italie, revenant toujours dans son pays natal, trouvant ses moyens de subsistance le plus souvent dans la mendicité.
Gravitant dans un monde interlope mettant en scène des déserteurs et des «femmes à soldats», elle n'a pas d'enfant.
N'hésitant pas à faire l'impasse sur la messe dominicale, elle côtoie apparemment une bande de hors-la-loi qui utilisent notamment un four au pied du Moléson pour battre de faux écus.
Est-ce à cause de cela ou simplement en raison de sa vie hors norme? Elle a en tout cas mauvaise réputation.
Lors de son procès, les témoins cités par la justice l'accuseront de mille maux. Mauvaise langue, elle ferait tourner le lait, gâterait le goût du fromage, rendrait le bétail malade.
Aveux extorqués Béat-Nicolas de Montenach, bailli de Corbières, la jette au cachot en mai 1731.
Il l'accuse de s'être métamorphosée en renard.
L'automne précédent, à la chasse, il avait en effet blessé un tel animal à la patte. Or Catherine Repond a un pied en fort mauvais état. Elle a beau expliquer qu'une famille de la région du Gibloux, à qui elle avait demandé le gîte, lui a tiré dessus durant la nuit, on ne la croit pas. Pour sûr, il s'agit du coup de feu du bailli!
La suite est digne d'un roman d'horreur. Violemment torturée, elle finit par avouer ce que ses bourreaux veulent entendre: elle va au sabbat, danse avec les démons, s'est même donnée au diable à de nombreuses reprises.
Catillon sera finalement étranglée puis brûlée sur la colline du Guintzet en septembre 1731, à l'âge de 68 ans.
Catillon fut jugée pour sorcellerie et brûlée le 15 septembre 1731, au Guintzet, à Fribourg.
Les archives relatant ses interrogatoires permettent toutefois une autre lecture des événements.
A maintes reprises, Catillon attire l'attention sur des faits que Béat-Nicolas de Montenach, qui conduit les auditions, ne prendra pas en considération.
«Elle a été très courageuse. Elle ose notamment accuser un curé de l'avoir violentée, alors qu'elle revenait de confesse. A l'époque, c'est presque inimaginable qu'une femme de sa condition puisse mettre en cause un personnage estimé comme un religieux», note Josianne Ferrari-Clément.
Au cours du procès, Catherine Repond pointe surtout le doigt sur les agissements d'un certain Jacques Bouquet, un guérisseur qui est le père des deux enfants de sa sœur.
Il a, dit-elle, installé une chaudière dans leur logis de Villarvolard pour fondre du métal et battre de la monnaie.
Mais les juges ne veulent rien entendre. Selon l'historienne, ils ont peur. Ils savent que Catillon a des relations au sein du patriciat fribourgeois. Elle connaît en particulier les épouses de certains membres de l'aristocratie dirigeante.
Or il semble, selon les recherches de Josianne Ferrari-Clément, que des notables soient impliqués dans un trafic de fausse monnaie, lequel, gravitant par Fribourg et les forges du Moléson, avait des ramifications jusque dans les montagnes neuchâteloises et même au-delà, en France.
Compromettant pour le patriciat
«Les révélations de Catillon auraient pu être compromettantes. Fribourg était dépendante de la France, partenaire économique qui lui fournissait du sel pour ses fromages, qu'elle lui revendait en retour en même temps qu'elle lui procurait des mercenaires.
Les juges ont certainement eu peur que Catillon parle trop. Aussi l'ont-ils accusée de sorcellerie pour détourner l'attention», estime l'historienne.
Catillon a donc eu une vie dans la marge. Elle a probablement elle-même trempé dans cette affaire de trafic de fausse monnaie. Mais elle n'a en aucun cas été une sorcière.
«Il faut donc la réhabiliter», s'exclame Josianne Ferrari-Clément. Un cri du cœur qui résonnera probablement bientôt dans la salle du Grand Conseil fribourgeois.
«Catillon et les écus du diable», par Josianne Ferrari-Clément, Editions La Sarine
Elle fut la dernière victime des superstitions populaires. (?)