samedi 5 juin 2010
3778
MOBILISATION INTERNATIONALE POUR SAUVER GAZA DE L’ASPHYXIE
ENTRETIEN AVEC ARAFAT SHOUKRI
par Silvia Cattori*
23 avril 2010
http://www.silviacattori.net/article1190.html
Dr. Arafat Shoukri : « Les conditions sont réunies pour faire de cette flottille un point de rupture»
Une coalition réunissant de nombreuses organisations se prépare à envoyer, en mai 2010, une flottille de plus de dix bateaux et cargos au secours de Gaza. Le Dr. Arafat Shoukri, participe à ce spectaculaire convoi maritime avec l’ONG qu’il préside : l’European Campaign to End the Siege on Gaza. Il n’a pas ménagé ses efforts, depuis trois ans, pour conduire des délégations de parlementaires à Gaza afin qu’ils se rendent compte de la gravité de la situation et qu’ils encouragent les États de l’Union Européenne à exiger d’Israël la cessation du blocus inhumain qui étrangle la population de Gaza. Le Dr. Arafat Shoukri répond ici aux questions de Silvia Cattori.
Silvia Cattori : Quand la « Campagne européenne pour mettre fin au siège de Gaza » (ECESG) a-t-elle été créée et pour quelle mission [1] ?
Arafat Shoukri [2] : La « Campagne européenne pour mettre fin au siège de Gaza » a été mise sur pied à fin 2007 pour mobiliser la plus grande communauté européenne possible contre le siège de Gaza. Déjà à cette époque, le siège étranglait la production et les cultures de la population [de Gaza] ; la situation n’a fait qu’empirer depuis lors avec l’attaque israélienne de 2008/2009. Notre mission est de travailler avec les trente ONG qui constituent notre coalition, ainsi qu’avec ceux qui nous soutiennent individuellement, pour briser le siège israélien en intervenant auprès des législateurs européens, au travers des médias, et en fournissant une aide humanitaire à la population de Gaza.
Silvia Cattori : Le 4 avril 2010, les gens qui un peu partout dans le monde s’inquiètent du siège qui asphyxie Gaza, ont appris avec soulagement que l’ONG « Campagne européenne pour mettre fin au siège de Gaza » (ECESG), allait prendre la mer dans le cadre d’une nouvelle tentative de forcer le passage [3]. Pourquoi avoir annoncé cette nouvelle depuis Istanbul ?
Arafat Shoukri : Nous avons choisi Istanbul pour annoncer notre dernière – et plus importante – flottille pour briser le siège, à la fois parce que c’est la ville d’un de nos principaux partenaires, IHH (Insani Yardim Vakfi) – qui a conduit l’un des derniers convois à Gaza (en décembre 2009), et parce que le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est si courageusement exprimé contre le blocus israélien de Gaza. En dépit des liens étroits de la Turquie avec Israël – ils ont même conduit dans le passé des exercices militaires conjoints – il a courageusement, et sans hésitation, dénoncé l’attaque contre Gaza pour ce qu’elle était : un crime de guerre. L’Occident pourrait s’inspirer de l’exemple de la Turquie.
Silvia Cattori : Ce n’est pas la première participation d’ECESG. N’aviez-vous pas déjà soutenu l’envoi de bateaux par Free Gaza en 2008 ? Qu’est-ce que ce nouveau convoi peut apporter de différent à Gaza ?
Arafat Shoukri : Oui, notre campagne a participé à deux précédentes flottilles. Toutefois, celle-ci sera la plus grande, et l’un de nos co-sponsors, comme nous venons de le dire, est une organisation influente d’un allié d’Israël. Nous espérons également accueillir à bord de nos bateaux un certain nombre de notables, y compris des députés [aux Parlements nationaux] et des députés au Parlement européen. Cela étant, et compte tenu des récentes critiques adressées à Israël pour son comportement agressif – aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie, où il poursuit rapidement l’expansion de ses colonies – je crois que cette flottille peut être un réel bélier pour enfoncer le mur du blocus israélien.
Silvia Cattori : Les massacres commis par Israël lors de l’aggression qu’il a appelé « Plomb durci » à Gaza ont été une sorte d’électrochoc pour beaucoup de gens. Il me semble qu’à partir de ce moment, il s’est opéré une jonction dans les pays occidentaux entre deux milieux qui, jusque là, ne travaillaient guère ensemble : d’une part des citoyens européens qui soutenaient la cause palestinienne et d’autre part des citoyens arabes et musulmans de nationalité européenne et des immigrés. Confirmez-vous cette analyse ? Si oui, ne pensez-vous pas qu’il s’agit là d’un tournant important dans le mouvement de soutien à la lutte des Palestiniens pour obtenir leurs droits ?
Arafat Shoukri : Oui, absolument. Attaquer Gaza, d’une manière aussi brutale, a été une grave erreur, à plus d’un titre. Des groupes et des personnes qui ne voyaient pas Israël comme l’oppresseur qu’il est réellement, et qui de ce fait n’étaient pas engagés dans le mouvement anti-apartheid, sont maintenant avec nous. Cela a également rassemblé des groupes disparates qui ne s’étaient pas unis auparavant. Cela pourrait bien s’avérer être la ruine ultime d’Israël.
Silvia Cattori : Pouvez-vous nous donner le nom de quelques personnalités qui participeront à cette audacieuse odyssée en mai ?
Arafat Shoukri : En ce qui concerne les personnalités qui se joindront à nous, nous préférons attendre pour le moment et annoncer leurs noms plus tard.
Silvia Cattori : Tout le monde sait qu’Israël étrangle Gaza car son objectif est de liquider le Hamas et ensuite d’enterrer la cause palestinienne. Votre projet ne peut être que quelque chose de très dérangeant pour ce régime qui violente Gaza et qui ne tolère aucune opposition. Des agents du Mossad sont probablement déjà infiltrés dans ce projet pour tenter de le déstabiliser ; et les services de propagande de l’armée israélienne se préparent sans doute à vous contrer. Depuis l’annonce de ce projet, avez-vous déjà constaté des actes de sabotages ?
Arafat Shoukri : Nous n’avons pas encore vu d’actes de sabotage, mais nos partenaires ont assurément été l’objet de menaces et d’accusations de la part de diverses personnes au sein du gouvernement israélien et des mouvements affiliés d’extrême droite. Et je suis sûr que cela ne fera qu’empirer. Mais nous n’allons pas changer nos plans.
Silvia Cattori : Jusqu’ici rien, ni les fermes condamnations du Premier ministre Erdogan, ni la demande de Barak Obama, n’ont réussi à contraindre Israël à lever le siège. Pensez-vous vraiment que cette flottille, aussi imposante soit-elle, aura des chances de réussir là où les grandes puissances ont par lâcheté échoué ? Et à faire connaître enfin la réalité intolérable imposée par Israël aux Palestiniens ?
Arafat Shoukri : Comme je l’ai déjà dit, une action ou un événement ne sera probablement pas suffisant pour contraindre Israël à se rendre compte que la poursuite du siège n’est pas soutenable. Mais les conditions sont réunies pour faire de cette flottille un « point de rupture ». À chaque flottille que nous parrainons, il devient de plus en plus difficile pour Israël de faire passer comme légitime son oppression des Palestiniens de Gaza.
Silvia Cattori : Lors de sa visite en France, M. Erdogan a donné une grande leçon d’humanité au prétendu « humanitaire » Bernard Kouchner en dénonçant fermement les crimes de l’État israélien [4]. Il a contribué à briser la scandaleuse omerta des démocraties occidentales en précisant qu’Israël - et non l’Iran - est la plus grande menace au Moyen Orient. Cette attitude nouvelle de la Turquie est sans doute un tournant majeur dans l’équilibre géopolitique de la région. A-t-elle un impact sur l’organisation de votre projet ? Pensez-vous qu’elle puisse contribuer à mettre les autres États devant leurs responsabilités ?
Arafat Shoukri : La Turquie, pays à cheval sur le Moyen-Orient et l’Europe, a été le seul allié musulman d’Israël – ce qui signifie que cette relation a fourni à Israël un peu de crédibilité apparente. Toutefois, comme Recep Tayyip Erdogan est de plus en plus critique à l’égard de la politique et des pratiques israéliennes, cette relation tombe en ruine. Et en effet, cela est très important. Le refus du gouvernement turc de faire marche arrière ou de se rétracter, ainsi que la participation à la flottille de la Fondation pour les droits et les libertés humains et l’aide humanitaire (Insani Yardim Vakfi - IHH) [5], pourraient bien représenter une « couverture » permettant à certains autres États de la région de suivre cet exemple.
Silvia Cattori : Comment jugez-vous l’attitude bienveillante de l’Egypte, et aussi de la Jordanie, à l’égard d’Israël ? N’est-il pas intolérable que ces pays participent, par leur soutien contre nature à l’occupant israélien, à l’écrasement du peuple palestinien ?
Arafat Shoukri : Ces pays bénéficient tous deux d’une aide très importante de l’Occident, en particulier des États-Unis. Oui, nous voudrions voir un soutien plus tangible du monde arabe aux Palestiniens, mais nous devons également reconnaître le pouvoir des États-Unis et de l’Europe. Tant que ceux-ci n’auront pas renoncé à leur exigence de soutenir Israël, les pays « satellites » vont continuer de ne pas se sentir contraints à agir comme ils le devraient.
Silvia Cattori : Votre ONG a fait des efforts soutenus pour amener des parlementaires à réagir et à briser le silence qui entoure la situation à Gaza. Ces parlementaires que vous avez accompagné à Gaza, ont-ils rencontré des difficultés pour obtenir de l’Égypte le passage vers Gaza ou éventuellement via Israël ?
Arafat Shoukri : L’entrée par Israël ne nous a pas été autorisée du fait de la position, fortement et ouvertement affirmée, de l’ECESG contre les politiques et les pratiques d’apartheid d’Israël. Quant à l’Égypte, nous avons rencontré quelques difficultés, mais finalement nous avons toujours été autorisés à pénétrer dans la bande de Gaza, et avons également obtenu des réunions avec de hauts responsables gouvernementaux.
Silvia Cattori : Les délégations qui ont visité Gaza ont-elles rencontré les autorités du Hamas ? [6]
Arafat Shoukri : Oui, les délégations de l’ECESG ont rencontré des représentants du Hamas lors de nos visites à Gaza. Quelque soit notre degré d’accord ou de désaccord avec lui, le Hamas est le gouvernement élu, et cela doit être reconnu et respecté. L’autre chose est que le Hamas est une force sur le terrain et, que cela nous plaise ou non, aucune paix ne sera possible dans la région tant qu’il ne sera pas lui aussi à la table des négociations. Mais nous rencontrons également des représentants de la société civile.
Silvia Cattori : La Baronesse Jenny Tonge [7] – que nous avons rencontrée l’an passé après sa visite à Gaza - ne se lasse pas de dénoncer la complicité de nos États, de rappeler qu’il y a là une génération d’enfants qui est en train de subir des dommages irréparables. Pourtant malgré ses efforts la diplomatie de l’Union Européenne n’a pratiquement rien fait pour mettre fin au siège de Gaza. N’est-ce pas inimaginable ?
Arafat Shoukri : Oui, il est très difficile d’essayer d’expliquer aux Palestiniens, en particulier à ceux qui vivent dans la bande de Gaza, pourquoi cela prend si longtemps pour mettre fin au siège et pourquoi la communauté internationale a permis à Israël de violer de manière aussi systématique le droit international. Le pouvoir du lobby pro-israélien aveugle est très fort, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, et en particulier dans des pays comme l’Allemagne, où la culpabilité pour les crimes commis contre les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale subsiste encore et les dissuade de dénoncer Israël. Mais notre mouvement se renforce alors qu’Israël perd de plus en plus le contrôle, et nous allons l’emporter en fin de compte, je n’en doute pas.
Silvia Cattori : Il faut avouer que les Palestiniens ont été malheureusement desservis par ceux-là mêmes qui dans le mouvement de solidarité en occident prétendaient les soutenir. N’est-ce pas votre mission de rétablir quelques vérités ? Ne faut-il pas cesser de protéger les acquis d’Israël obtenus par le vol de la terre palestinienne depuis 1948 ? Ne faut-il pas cesser de tergiverser sur les droits fondamentaux des Palestiniens ? Ne faut-il pas cesser de s’associer à ceux des Palestiniens qui, depuis leur compromission dans les Accords d’Oslo en 1993, aident Israël à liquider les mouvements de résistance à l’occupant ?
Arafat Shoukri : Oui, il est grand temps de cesser de tergiverser, comme si nous ne savions pas ce qu’une paix véritable et juste exige. Il y a longtemps que nous connaissons les paramètres requis, et il y a eu certains dirigeants palestiniens qui n’ont pas agi dans le meilleur intérêt de leur peuple. Mais dans le même temps, nous serons toujours prêts à parler avec des organisations, en particulier influentes, qui se disent intéressées par le dialogue. Bien que cela soit souvent infructueux, nous devons rester ouverts à la possibilité d’un changement.
Silvia Cattori : La société civile palestinienne qui a lancé depuis 2005 la campagne de boycott contre Israël (BDS), demande de ne pas accepter dans des projets de solidarité des personnes et associations qui ont des positions contraires aux droits fondamentaux des Palestiniens, ce qui paraît la moindre des choses. Toute action ou projet de solidarité qui n’affirme pas son adhésion à ces principes n’est plus crédible. Exigez-vous de toute personne ou association qui participe à vos projets son adhésion aux droits fondamentaux des Palestiniens. Votre ONG a-t-elle pris clairement position sur ces sujets [8] ?
Arafat Shoukri : L’ECESG est très en faveur de la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël (BDS) et le respect de ses principes ; tous ceux qui travaillent avec, ou pour nous, doivent partager notre soutien à cette forme de résistance non-violente.
Silvia Cattori : À Jérusalem, Israël se livre à de nouveaux faits accomplis. Que font les musulmans dans le monde pour protester contre les déclarations du Premier ministre Netanyahou qui dit que Jérusalem n’est pas une colonie, mais la capitale éternelle de l’État d’Israël ?
Arafat Shoukri : Les musulmans doivent en permanence améliorer leur capacité à s’unir les uns avec les autres, malgré leurs différences, et protester avec force – mais de façon non-violente – contre la poursuite de la colonisation de Jérusalem par des colons juifs. Mais plus importante encore est la nécessité de tendre la main aux autres races et religions et de les encourager à se joindre à nous. Notre mouvement doit être une « grande maison ».
Silvia Cattori : Israël a demandé à être admis dans le club des nations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le Palestinian Boycott National Committee (BNC) [9] a appelé l’OCDE à geler cette demande en faisant valoir qu’Israël est inéligible comme membre aussi longtemps qu’il se comporte en État voyou. Si il est admis cela ce sera une nouvelle défaite pour la justice et une nouvelle preuve que nos démocraties agissent sans foi ni loi. Avez-vous manifesté votre opposition ?
Arafat Shoukri : L’ECESG mène une très dure campagne contre l’acceptation d’Israël au sein de l’OCDE [10], et il a tout à la fois publié un communiqué de presse et distribué une lettre aux députés aux Parlements nationaux et aux députés au Parlement européen affiliés, en les encourageant à prendre contact avec les représentants de leur pays, et en les exhortant à voter « non ».
Silvia Cattori : Je vous remercie infiniment.
Silvia Cattori
(voir notes et bibliographie sur site)
ENTRETIEN AVEC ARAFAT SHOUKRI
par Silvia Cattori*
23 avril 2010
http://www.silviacattori.net/article1190.html
Dr. Arafat Shoukri : « Les conditions sont réunies pour faire de cette flottille un point de rupture»
Une coalition réunissant de nombreuses organisations se prépare à envoyer, en mai 2010, une flottille de plus de dix bateaux et cargos au secours de Gaza. Le Dr. Arafat Shoukri, participe à ce spectaculaire convoi maritime avec l’ONG qu’il préside : l’European Campaign to End the Siege on Gaza. Il n’a pas ménagé ses efforts, depuis trois ans, pour conduire des délégations de parlementaires à Gaza afin qu’ils se rendent compte de la gravité de la situation et qu’ils encouragent les États de l’Union Européenne à exiger d’Israël la cessation du blocus inhumain qui étrangle la population de Gaza. Le Dr. Arafat Shoukri répond ici aux questions de Silvia Cattori.
Silvia Cattori : Quand la « Campagne européenne pour mettre fin au siège de Gaza » (ECESG) a-t-elle été créée et pour quelle mission [1] ?
Arafat Shoukri [2] : La « Campagne européenne pour mettre fin au siège de Gaza » a été mise sur pied à fin 2007 pour mobiliser la plus grande communauté européenne possible contre le siège de Gaza. Déjà à cette époque, le siège étranglait la production et les cultures de la population [de Gaza] ; la situation n’a fait qu’empirer depuis lors avec l’attaque israélienne de 2008/2009. Notre mission est de travailler avec les trente ONG qui constituent notre coalition, ainsi qu’avec ceux qui nous soutiennent individuellement, pour briser le siège israélien en intervenant auprès des législateurs européens, au travers des médias, et en fournissant une aide humanitaire à la population de Gaza.
Silvia Cattori : Le 4 avril 2010, les gens qui un peu partout dans le monde s’inquiètent du siège qui asphyxie Gaza, ont appris avec soulagement que l’ONG « Campagne européenne pour mettre fin au siège de Gaza » (ECESG), allait prendre la mer dans le cadre d’une nouvelle tentative de forcer le passage [3]. Pourquoi avoir annoncé cette nouvelle depuis Istanbul ?
Arafat Shoukri : Nous avons choisi Istanbul pour annoncer notre dernière – et plus importante – flottille pour briser le siège, à la fois parce que c’est la ville d’un de nos principaux partenaires, IHH (Insani Yardim Vakfi) – qui a conduit l’un des derniers convois à Gaza (en décembre 2009), et parce que le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est si courageusement exprimé contre le blocus israélien de Gaza. En dépit des liens étroits de la Turquie avec Israël – ils ont même conduit dans le passé des exercices militaires conjoints – il a courageusement, et sans hésitation, dénoncé l’attaque contre Gaza pour ce qu’elle était : un crime de guerre. L’Occident pourrait s’inspirer de l’exemple de la Turquie.
Silvia Cattori : Ce n’est pas la première participation d’ECESG. N’aviez-vous pas déjà soutenu l’envoi de bateaux par Free Gaza en 2008 ? Qu’est-ce que ce nouveau convoi peut apporter de différent à Gaza ?
Arafat Shoukri : Oui, notre campagne a participé à deux précédentes flottilles. Toutefois, celle-ci sera la plus grande, et l’un de nos co-sponsors, comme nous venons de le dire, est une organisation influente d’un allié d’Israël. Nous espérons également accueillir à bord de nos bateaux un certain nombre de notables, y compris des députés [aux Parlements nationaux] et des députés au Parlement européen. Cela étant, et compte tenu des récentes critiques adressées à Israël pour son comportement agressif – aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie, où il poursuit rapidement l’expansion de ses colonies – je crois que cette flottille peut être un réel bélier pour enfoncer le mur du blocus israélien.
Silvia Cattori : Les massacres commis par Israël lors de l’aggression qu’il a appelé « Plomb durci » à Gaza ont été une sorte d’électrochoc pour beaucoup de gens. Il me semble qu’à partir de ce moment, il s’est opéré une jonction dans les pays occidentaux entre deux milieux qui, jusque là, ne travaillaient guère ensemble : d’une part des citoyens européens qui soutenaient la cause palestinienne et d’autre part des citoyens arabes et musulmans de nationalité européenne et des immigrés. Confirmez-vous cette analyse ? Si oui, ne pensez-vous pas qu’il s’agit là d’un tournant important dans le mouvement de soutien à la lutte des Palestiniens pour obtenir leurs droits ?
Arafat Shoukri : Oui, absolument. Attaquer Gaza, d’une manière aussi brutale, a été une grave erreur, à plus d’un titre. Des groupes et des personnes qui ne voyaient pas Israël comme l’oppresseur qu’il est réellement, et qui de ce fait n’étaient pas engagés dans le mouvement anti-apartheid, sont maintenant avec nous. Cela a également rassemblé des groupes disparates qui ne s’étaient pas unis auparavant. Cela pourrait bien s’avérer être la ruine ultime d’Israël.
Silvia Cattori : Pouvez-vous nous donner le nom de quelques personnalités qui participeront à cette audacieuse odyssée en mai ?
Arafat Shoukri : En ce qui concerne les personnalités qui se joindront à nous, nous préférons attendre pour le moment et annoncer leurs noms plus tard.
Silvia Cattori : Tout le monde sait qu’Israël étrangle Gaza car son objectif est de liquider le Hamas et ensuite d’enterrer la cause palestinienne. Votre projet ne peut être que quelque chose de très dérangeant pour ce régime qui violente Gaza et qui ne tolère aucune opposition. Des agents du Mossad sont probablement déjà infiltrés dans ce projet pour tenter de le déstabiliser ; et les services de propagande de l’armée israélienne se préparent sans doute à vous contrer. Depuis l’annonce de ce projet, avez-vous déjà constaté des actes de sabotages ?
Arafat Shoukri : Nous n’avons pas encore vu d’actes de sabotage, mais nos partenaires ont assurément été l’objet de menaces et d’accusations de la part de diverses personnes au sein du gouvernement israélien et des mouvements affiliés d’extrême droite. Et je suis sûr que cela ne fera qu’empirer. Mais nous n’allons pas changer nos plans.
Silvia Cattori : Jusqu’ici rien, ni les fermes condamnations du Premier ministre Erdogan, ni la demande de Barak Obama, n’ont réussi à contraindre Israël à lever le siège. Pensez-vous vraiment que cette flottille, aussi imposante soit-elle, aura des chances de réussir là où les grandes puissances ont par lâcheté échoué ? Et à faire connaître enfin la réalité intolérable imposée par Israël aux Palestiniens ?
Arafat Shoukri : Comme je l’ai déjà dit, une action ou un événement ne sera probablement pas suffisant pour contraindre Israël à se rendre compte que la poursuite du siège n’est pas soutenable. Mais les conditions sont réunies pour faire de cette flottille un « point de rupture ». À chaque flottille que nous parrainons, il devient de plus en plus difficile pour Israël de faire passer comme légitime son oppression des Palestiniens de Gaza.
Silvia Cattori : Lors de sa visite en France, M. Erdogan a donné une grande leçon d’humanité au prétendu « humanitaire » Bernard Kouchner en dénonçant fermement les crimes de l’État israélien [4]. Il a contribué à briser la scandaleuse omerta des démocraties occidentales en précisant qu’Israël - et non l’Iran - est la plus grande menace au Moyen Orient. Cette attitude nouvelle de la Turquie est sans doute un tournant majeur dans l’équilibre géopolitique de la région. A-t-elle un impact sur l’organisation de votre projet ? Pensez-vous qu’elle puisse contribuer à mettre les autres États devant leurs responsabilités ?
Arafat Shoukri : La Turquie, pays à cheval sur le Moyen-Orient et l’Europe, a été le seul allié musulman d’Israël – ce qui signifie que cette relation a fourni à Israël un peu de crédibilité apparente. Toutefois, comme Recep Tayyip Erdogan est de plus en plus critique à l’égard de la politique et des pratiques israéliennes, cette relation tombe en ruine. Et en effet, cela est très important. Le refus du gouvernement turc de faire marche arrière ou de se rétracter, ainsi que la participation à la flottille de la Fondation pour les droits et les libertés humains et l’aide humanitaire (Insani Yardim Vakfi - IHH) [5], pourraient bien représenter une « couverture » permettant à certains autres États de la région de suivre cet exemple.
Silvia Cattori : Comment jugez-vous l’attitude bienveillante de l’Egypte, et aussi de la Jordanie, à l’égard d’Israël ? N’est-il pas intolérable que ces pays participent, par leur soutien contre nature à l’occupant israélien, à l’écrasement du peuple palestinien ?
Arafat Shoukri : Ces pays bénéficient tous deux d’une aide très importante de l’Occident, en particulier des États-Unis. Oui, nous voudrions voir un soutien plus tangible du monde arabe aux Palestiniens, mais nous devons également reconnaître le pouvoir des États-Unis et de l’Europe. Tant que ceux-ci n’auront pas renoncé à leur exigence de soutenir Israël, les pays « satellites » vont continuer de ne pas se sentir contraints à agir comme ils le devraient.
Silvia Cattori : Votre ONG a fait des efforts soutenus pour amener des parlementaires à réagir et à briser le silence qui entoure la situation à Gaza. Ces parlementaires que vous avez accompagné à Gaza, ont-ils rencontré des difficultés pour obtenir de l’Égypte le passage vers Gaza ou éventuellement via Israël ?
Arafat Shoukri : L’entrée par Israël ne nous a pas été autorisée du fait de la position, fortement et ouvertement affirmée, de l’ECESG contre les politiques et les pratiques d’apartheid d’Israël. Quant à l’Égypte, nous avons rencontré quelques difficultés, mais finalement nous avons toujours été autorisés à pénétrer dans la bande de Gaza, et avons également obtenu des réunions avec de hauts responsables gouvernementaux.
Silvia Cattori : Les délégations qui ont visité Gaza ont-elles rencontré les autorités du Hamas ? [6]
Arafat Shoukri : Oui, les délégations de l’ECESG ont rencontré des représentants du Hamas lors de nos visites à Gaza. Quelque soit notre degré d’accord ou de désaccord avec lui, le Hamas est le gouvernement élu, et cela doit être reconnu et respecté. L’autre chose est que le Hamas est une force sur le terrain et, que cela nous plaise ou non, aucune paix ne sera possible dans la région tant qu’il ne sera pas lui aussi à la table des négociations. Mais nous rencontrons également des représentants de la société civile.
Silvia Cattori : La Baronesse Jenny Tonge [7] – que nous avons rencontrée l’an passé après sa visite à Gaza - ne se lasse pas de dénoncer la complicité de nos États, de rappeler qu’il y a là une génération d’enfants qui est en train de subir des dommages irréparables. Pourtant malgré ses efforts la diplomatie de l’Union Européenne n’a pratiquement rien fait pour mettre fin au siège de Gaza. N’est-ce pas inimaginable ?
Arafat Shoukri : Oui, il est très difficile d’essayer d’expliquer aux Palestiniens, en particulier à ceux qui vivent dans la bande de Gaza, pourquoi cela prend si longtemps pour mettre fin au siège et pourquoi la communauté internationale a permis à Israël de violer de manière aussi systématique le droit international. Le pouvoir du lobby pro-israélien aveugle est très fort, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, et en particulier dans des pays comme l’Allemagne, où la culpabilité pour les crimes commis contre les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale subsiste encore et les dissuade de dénoncer Israël. Mais notre mouvement se renforce alors qu’Israël perd de plus en plus le contrôle, et nous allons l’emporter en fin de compte, je n’en doute pas.
Silvia Cattori : Il faut avouer que les Palestiniens ont été malheureusement desservis par ceux-là mêmes qui dans le mouvement de solidarité en occident prétendaient les soutenir. N’est-ce pas votre mission de rétablir quelques vérités ? Ne faut-il pas cesser de protéger les acquis d’Israël obtenus par le vol de la terre palestinienne depuis 1948 ? Ne faut-il pas cesser de tergiverser sur les droits fondamentaux des Palestiniens ? Ne faut-il pas cesser de s’associer à ceux des Palestiniens qui, depuis leur compromission dans les Accords d’Oslo en 1993, aident Israël à liquider les mouvements de résistance à l’occupant ?
Arafat Shoukri : Oui, il est grand temps de cesser de tergiverser, comme si nous ne savions pas ce qu’une paix véritable et juste exige. Il y a longtemps que nous connaissons les paramètres requis, et il y a eu certains dirigeants palestiniens qui n’ont pas agi dans le meilleur intérêt de leur peuple. Mais dans le même temps, nous serons toujours prêts à parler avec des organisations, en particulier influentes, qui se disent intéressées par le dialogue. Bien que cela soit souvent infructueux, nous devons rester ouverts à la possibilité d’un changement.
Silvia Cattori : La société civile palestinienne qui a lancé depuis 2005 la campagne de boycott contre Israël (BDS), demande de ne pas accepter dans des projets de solidarité des personnes et associations qui ont des positions contraires aux droits fondamentaux des Palestiniens, ce qui paraît la moindre des choses. Toute action ou projet de solidarité qui n’affirme pas son adhésion à ces principes n’est plus crédible. Exigez-vous de toute personne ou association qui participe à vos projets son adhésion aux droits fondamentaux des Palestiniens. Votre ONG a-t-elle pris clairement position sur ces sujets [8] ?
Arafat Shoukri : L’ECESG est très en faveur de la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël (BDS) et le respect de ses principes ; tous ceux qui travaillent avec, ou pour nous, doivent partager notre soutien à cette forme de résistance non-violente.
Silvia Cattori : À Jérusalem, Israël se livre à de nouveaux faits accomplis. Que font les musulmans dans le monde pour protester contre les déclarations du Premier ministre Netanyahou qui dit que Jérusalem n’est pas une colonie, mais la capitale éternelle de l’État d’Israël ?
Arafat Shoukri : Les musulmans doivent en permanence améliorer leur capacité à s’unir les uns avec les autres, malgré leurs différences, et protester avec force – mais de façon non-violente – contre la poursuite de la colonisation de Jérusalem par des colons juifs. Mais plus importante encore est la nécessité de tendre la main aux autres races et religions et de les encourager à se joindre à nous. Notre mouvement doit être une « grande maison ».
Silvia Cattori : Israël a demandé à être admis dans le club des nations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le Palestinian Boycott National Committee (BNC) [9] a appelé l’OCDE à geler cette demande en faisant valoir qu’Israël est inéligible comme membre aussi longtemps qu’il se comporte en État voyou. Si il est admis cela ce sera une nouvelle défaite pour la justice et une nouvelle preuve que nos démocraties agissent sans foi ni loi. Avez-vous manifesté votre opposition ?
Arafat Shoukri : L’ECESG mène une très dure campagne contre l’acceptation d’Israël au sein de l’OCDE [10], et il a tout à la fois publié un communiqué de presse et distribué une lettre aux députés aux Parlements nationaux et aux députés au Parlement européen affiliés, en les encourageant à prendre contact avec les représentants de leur pays, et en les exhortant à voter « non ».
Silvia Cattori : Je vous remercie infiniment.
Silvia Cattori
(voir notes et bibliographie sur site)