samedi 5 juin 2010
3779
ISRAËL, L’IMPUNITÉ JUSQU’À QUAND ?
par Alain Gresh
31 mai 2010
Le Monde Diplomatique
http://blog.mondediplo.net/2010-05-31-Israel-l-impunite-jusqu-a-quand
L’assaut donné le 31 mai à l’aube par l’armée israélienne contre la flottille de bateaux transportant une aide humanitaire à Gaza aurait fait une vingtaine de morts. Cette attaque s’est déroulée dans les eaux internationales. Elle a suscité de nombreuses condamnations, y compris de pays européens et du gouvernement français. Bernard Kouchner a déclaré que « rien ne saurait justifier l’emploi d’une telle violence, que nous condamnons ». Plusieurs pays, dont la Suède, l’Espagne, la Turquie et la France ont convoqué l’ambassadeur israélien. La Grèce a suspendu des manœuvres aériennes avec Israël et annulé une visite du chef de l’armée de l’air israélienne.
Bien sûr, ces condamnations sont les bienvenues. Même s’il reste quelques personnes qui osent trouver des justifications à l’action israélienne. Ainsi, le porte-parole de l’UMP, l’ineffable Frédéric Lefebvre, a fait savoir, selon l’AFP, que son parti « regrette » les morts, mais dénonce les « provocations » de « ceux qui se disent les amis des Palestiniens ».
La veille de cette action militaire, faisant preuve d’une prescience qui fait partie de ses innombrables qualités, Bernard-Henri Lévy déclarait à Tel-Aviv : « Je n’ai jamais vu une armée aussi démocratique, qui se pose tellement de questions morales. » (Haaretz.com, 31 mai). Il est vrai que, lors de la guerre de Gaza, notre philosophe s’était pavané sur un char israélien pour entrer dans le territoire. Réagissant à l’attaque aujourd’hui, Lévy l’a qualifiée, selon l’AFP, de « stupide » car risquant de ternir l’image d’Israël. Pas un mot de condamnation, pas un mot de regret pour les tués...
La seule question qui se pose maintenant est de savoir quel prix le gouvernement israélien devra payer pour ce crime. Car, depuis des années, les Nations unies ont adopté des dizaines de résolutions (« Résolutions de l’ONU non respectées par Israël », Le Monde diplomatique, février 2009), l’Union européenne a voté d’innombrables textes qui demandent à Israël de se conformer au droit international, ou tout simplement au droit humanitaire, en levant, par exemple, le blocus de Gaza. Ces textes ne sont jamais suivis du moindre effet. Au contraire, l’Union européenne et les Etats-Unis récompensent Israël.
C’est ce qu’a prouvé l’admission d’Israël dans l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), la semaine dernière, et la visite en France du premier ministre israélien Nétanyahou pour assister à l’intronisation de son pays. Comme le précisait un communiqué de l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS) du 30 avril, « Israël à l’OCDE ? Un mauvais coup contre la paix ! », cette adhésion valait acceptation de l’inclusion de la Cisjordanie et du Golan dans le « périmètre » israélien. Le fait qu’Israël se permette quelques jours plus tard d’attaquer la flottille de la paix confirme que cet Etat voit dans ces bonnes manières un feu vert pour toutes ses actions.
Cela avait déjà été le cas en décembre 2008. C’était alors l’Union européenne qui avait décidé le « rehaussement » des relations bilatérales avec Israël, donnant à cet Etat des privilèges dont ne disposaient jusque-là que quelques grandes puissances. Les chars israéliens pouvaient quelques jours plus tard partir à l’assaut du territoire de Gaza et commettre, en toute impunité, des « crimes de guerre », voire des « crimes contre l’humanité ».
Richard Falk, envoyé spécial des Nations unies pour les territoires occupés, écrivait, dans Le Monde diplomatique (mars 2009) un texte intitulé : « Nécessaire inculpation des responsables de l’agression contre Gaza ». Quelques mois plus tard, la commission des Nations unies présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone remettait ses conclusions. Elles étaient accablantes pour Israël, même si elles n’épargnaient pas le Hamas. Le texte confirmait que c’était bien l’armée israélienne qui avait rompu le cessez-le-feu et mettait en lumière les crimes commis. Ce texte confirmait de nombreux rapports déjà publiés par Amnesty International et Human Rights Watch.
Ces textes n’ont débouché sur aucune sanction contre le gouvernement israélien. Un des arguments avancés pour justifier cette passivité est que les faits incriminés seraient l’objet d’enquêtes sérieuses en Israël, ce que dément de manière argumentée la juriste Sharon Weill, dans Le Monde diplomatique (septembre 2009) : « De Gaza à Madrid, l’assassinat ciblé de Salah Shehadeh ».
On assiste d’ailleurs en Israël à une offensive sans précédent contre les organisations de défense des droits humains, qu’elles soient internationales ou israéliennes, considérées désormais comme une menace stratégique pour l’Etat, juste après la menace de l’Iran, du Hamas et du Hezbollah. Une véritable entreprise de délégitimation se déploie contre ces organisations à travers des groupes soutenus par le gouvernement et l’extrême droite comme NGO Monitor, menée parallèlement à une guerre de propagande pour justifier l’injustifiable (lire Dominique Vidal, « Plus le mensonge est gros... », Le Monde diplomatique, février 2009). Est-il vraiment étonnant que des soldats israéliens considèrent les militants venus apporter du ravitaillement à Gaza comme des « terroristes » et les traitent comme tels ?
L’impunité durera-t-elle ou certains gouvernements oseront-ils prendre des mesures concrètes pour sanctionner Israël, pour faire comprendre à son gouvernement (et aussi à son peuple) que cette politique a un prix, que la répression a un prix, que l’occupation a un prix ?
Dans le cadre de l’Union européenne, Paris pourrait suggérer à ses partenaires de suspendre l’accord d’association en vertu de l’article 2, qui affirme explicitement qu’Israël doit protéger les droits humains (lire Isabelle Avran, « Atermoiements de l’Union européenne face à Israël », La valise diplomatique, 25 juin 2009).
La France pourrait déjà, seule, sans attendre l’accord de ses partenaires européens, prendre trois mesures :
d’abord, et ce serait seulement se conformer au droit et aux décisions de l’Union européenne, lancer une campagne pour tracer l’origine des produits israéliens exportés en France et interdire (pas seulement taxer) les produits des colonies ;
ensuite, affirmer que l’installation de colons dans les territoires occupés n’est pas acceptable et que ceux-ci devraient donc être soumis à une demande de visa s’ils désirent se rendre en France – une mesure facile à mettre en œuvre à partir des adresses des individus désirant visiter notre pays ;
enfin, proclamer que des citoyens français qui effectuent leur service militaire en Israël ne sont pas autorisés à servir dans les territoires occupés. Leur participation aux actions d’une armée d’occupation pourrait entraîner des poursuites judiciaires.
Bernard Kouchner a annoncé qu’il n’y avait pas de citoyens français parmi les personnes tuées sur les bateaux. Mais sait-il s’il y a des citoyens français parmi ceux qui sont responsables de ce crime ?
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par Alain Gresh
31 mai 2010
Le Monde Diplomatique
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L’assaut donné le 31 mai à l’aube par l’armée israélienne contre la flottille de bateaux transportant une aide humanitaire à Gaza aurait fait une vingtaine de morts. Cette attaque s’est déroulée dans les eaux internationales. Elle a suscité de nombreuses condamnations, y compris de pays européens et du gouvernement français. Bernard Kouchner a déclaré que « rien ne saurait justifier l’emploi d’une telle violence, que nous condamnons ». Plusieurs pays, dont la Suède, l’Espagne, la Turquie et la France ont convoqué l’ambassadeur israélien. La Grèce a suspendu des manœuvres aériennes avec Israël et annulé une visite du chef de l’armée de l’air israélienne.
Bien sûr, ces condamnations sont les bienvenues. Même s’il reste quelques personnes qui osent trouver des justifications à l’action israélienne. Ainsi, le porte-parole de l’UMP, l’ineffable Frédéric Lefebvre, a fait savoir, selon l’AFP, que son parti « regrette » les morts, mais dénonce les « provocations » de « ceux qui se disent les amis des Palestiniens ».
La veille de cette action militaire, faisant preuve d’une prescience qui fait partie de ses innombrables qualités, Bernard-Henri Lévy déclarait à Tel-Aviv : « Je n’ai jamais vu une armée aussi démocratique, qui se pose tellement de questions morales. » (Haaretz.com, 31 mai). Il est vrai que, lors de la guerre de Gaza, notre philosophe s’était pavané sur un char israélien pour entrer dans le territoire. Réagissant à l’attaque aujourd’hui, Lévy l’a qualifiée, selon l’AFP, de « stupide » car risquant de ternir l’image d’Israël. Pas un mot de condamnation, pas un mot de regret pour les tués...
La seule question qui se pose maintenant est de savoir quel prix le gouvernement israélien devra payer pour ce crime. Car, depuis des années, les Nations unies ont adopté des dizaines de résolutions (« Résolutions de l’ONU non respectées par Israël », Le Monde diplomatique, février 2009), l’Union européenne a voté d’innombrables textes qui demandent à Israël de se conformer au droit international, ou tout simplement au droit humanitaire, en levant, par exemple, le blocus de Gaza. Ces textes ne sont jamais suivis du moindre effet. Au contraire, l’Union européenne et les Etats-Unis récompensent Israël.
C’est ce qu’a prouvé l’admission d’Israël dans l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), la semaine dernière, et la visite en France du premier ministre israélien Nétanyahou pour assister à l’intronisation de son pays. Comme le précisait un communiqué de l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS) du 30 avril, « Israël à l’OCDE ? Un mauvais coup contre la paix ! », cette adhésion valait acceptation de l’inclusion de la Cisjordanie et du Golan dans le « périmètre » israélien. Le fait qu’Israël se permette quelques jours plus tard d’attaquer la flottille de la paix confirme que cet Etat voit dans ces bonnes manières un feu vert pour toutes ses actions.
Cela avait déjà été le cas en décembre 2008. C’était alors l’Union européenne qui avait décidé le « rehaussement » des relations bilatérales avec Israël, donnant à cet Etat des privilèges dont ne disposaient jusque-là que quelques grandes puissances. Les chars israéliens pouvaient quelques jours plus tard partir à l’assaut du territoire de Gaza et commettre, en toute impunité, des « crimes de guerre », voire des « crimes contre l’humanité ».
Richard Falk, envoyé spécial des Nations unies pour les territoires occupés, écrivait, dans Le Monde diplomatique (mars 2009) un texte intitulé : « Nécessaire inculpation des responsables de l’agression contre Gaza ». Quelques mois plus tard, la commission des Nations unies présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone remettait ses conclusions. Elles étaient accablantes pour Israël, même si elles n’épargnaient pas le Hamas. Le texte confirmait que c’était bien l’armée israélienne qui avait rompu le cessez-le-feu et mettait en lumière les crimes commis. Ce texte confirmait de nombreux rapports déjà publiés par Amnesty International et Human Rights Watch.
Ces textes n’ont débouché sur aucune sanction contre le gouvernement israélien. Un des arguments avancés pour justifier cette passivité est que les faits incriminés seraient l’objet d’enquêtes sérieuses en Israël, ce que dément de manière argumentée la juriste Sharon Weill, dans Le Monde diplomatique (septembre 2009) : « De Gaza à Madrid, l’assassinat ciblé de Salah Shehadeh ».
On assiste d’ailleurs en Israël à une offensive sans précédent contre les organisations de défense des droits humains, qu’elles soient internationales ou israéliennes, considérées désormais comme une menace stratégique pour l’Etat, juste après la menace de l’Iran, du Hamas et du Hezbollah. Une véritable entreprise de délégitimation se déploie contre ces organisations à travers des groupes soutenus par le gouvernement et l’extrême droite comme NGO Monitor, menée parallèlement à une guerre de propagande pour justifier l’injustifiable (lire Dominique Vidal, « Plus le mensonge est gros... », Le Monde diplomatique, février 2009). Est-il vraiment étonnant que des soldats israéliens considèrent les militants venus apporter du ravitaillement à Gaza comme des « terroristes » et les traitent comme tels ?
L’impunité durera-t-elle ou certains gouvernements oseront-ils prendre des mesures concrètes pour sanctionner Israël, pour faire comprendre à son gouvernement (et aussi à son peuple) que cette politique a un prix, que la répression a un prix, que l’occupation a un prix ?
Dans le cadre de l’Union européenne, Paris pourrait suggérer à ses partenaires de suspendre l’accord d’association en vertu de l’article 2, qui affirme explicitement qu’Israël doit protéger les droits humains (lire Isabelle Avran, « Atermoiements de l’Union européenne face à Israël », La valise diplomatique, 25 juin 2009).
La France pourrait déjà, seule, sans attendre l’accord de ses partenaires européens, prendre trois mesures :
d’abord, et ce serait seulement se conformer au droit et aux décisions de l’Union européenne, lancer une campagne pour tracer l’origine des produits israéliens exportés en France et interdire (pas seulement taxer) les produits des colonies ;
ensuite, affirmer que l’installation de colons dans les territoires occupés n’est pas acceptable et que ceux-ci devraient donc être soumis à une demande de visa s’ils désirent se rendre en France – une mesure facile à mettre en œuvre à partir des adresses des individus désirant visiter notre pays ;
enfin, proclamer que des citoyens français qui effectuent leur service militaire en Israël ne sont pas autorisés à servir dans les territoires occupés. Leur participation aux actions d’une armée d’occupation pourrait entraîner des poursuites judiciaires.
Bernard Kouchner a annoncé qu’il n’y avait pas de citoyens français parmi les personnes tuées sur les bateaux. Mais sait-il s’il y a des citoyens français parmi ceux qui sont responsables de ce crime ?
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